Jean Mizrahi
Le gouvernement (Clément Beaune, encore un illustre énarque) est tout fier d’annoncer que la Commission Européenne lui a donné l’autorisation d’interdire les vols courts lorsqu’il y a une alternative ferroviaire sur des trajets de moins de 2h30 en train. Dans le principe, l’idée paraît plutôt de bon sens : pourquoi prendre un moyen de transport très polluant quand il en existe de nettement moins pour des trajets dont la durée totale ne sera pas si différente quand on tient compte des déplacements vers l’aéroport (ou la gare). Dans une perspective de moyen à long terme, j’applaudirais absolument la démarche.
Oui mais voilà, comme le rappelle le dicton attribué à Nietzsche, « le diable se cache dans les détails ». Le principe est beau, mais qu’en est-il de sa mise en oeuvre ? Je soupçonne déjà le gouvernement de procéder avec cette affaire comme il l’a fait dans le domaine de l’énergie : il fallait, pour des raisons politiques et non économiques, réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité, le jeune Emmanuel Macron, assisté de sa ministre Elisabeth Borne, décida donc de fermer la centrale de Fessenheim et d’annoncer la fermeture future de plusieurs autres centrales dans les années qui allaient suivre. « Moi, monarque, ai décidé, j’ai donc nécessairement raison, que l’intendance suive ». On sait ce qu’il en est aujourd’hui, avec des coupures de courant prévues pour l’hiver qui vient. La parole magique n’a pas eu raison du réel, qui nous revient en pleine figure.
En matière de transports de personnes, il en est exactement de même : on veut réduire les émissions de CO2 en restreignant les vols courts, soit, l’idée est en soi séduisante. Mais qu’en est-il des détails ?
1. Le prix. Le gouvernement a omis d’expliquer aux Français pourquoi, dans de nombreux cas, un déplacement en avion coûte moins cher qu’en train. C’est une réalité, car depuis la fin des restrictions Covid, la SNCF s’en donne à coeur joie, avec des tarifs exorbitants, j’ai pu m’en rendre compte, moi qui fais Marseille-Paris au moins deux fois par mois. De mon côté je suis resté fidèle au train, pas seulement pour des raisons écologiques, mais aussi parce que je trouve cela plus pratique, cela ne regarde cependant que moi. Mais plus fondamentalement, comment le gouvernement peut-il prétendre avoir une politique des transports quand le train coûte plus cher que l’avion ? Cette discussion renvoie aussi à la discussion actuelle sur les augmentations de prix dans les divers métros, notamment à Paris (mais aussi ailleurs) : comment les autorités locales et nationales peuvent-elle prétendre avoir une vision écologique des transports, en rendant les transports en commun presque aussi coûteux que les véhicules personnels ? Je fais personnellement Marseille-Cavaillon deux fois par semaine, et j’ai testé le train comme la voiture : résultat, le train coûte à peine moins cher que la voiture (y compris en tenant compte de l’amortissement de la voiture) pour une durée deux fois plus longue. À deux personnes, le déplacement ne se discuterait pas : la voiture serait plus économique en temps et en euros. Tout cela ne traduit qu’une chose : une absence de politique. On veut que les gens arrêtent d'utiliser leur véhicule personnel : les tarifs des transports collectifs doivent en tenir compte, "quoi qu'il en coûte". On veut de l'écologie ou on n'en veut pas, je préfère financer des trains que des associations bidon ou un Conseil Économique et Social qui ne sert pas à grand-chose.
2. Les quantités. Les déplacements courts ont souvent des motivations professionnelles. Or il suffit de prendre la voie ferrée pour se rendre compte que beaucoup de trains sont complets. Souvent, je dois jongler avec mes heures de rendez-vous pour rentrer sur Marseille, et il m’est arrivé de rester bloqué à Paris une nuit de plus parce que tous les trains étaient complets. Si on supprime des vols, la SNCF mettra-t-elle plus de trains à la disposition des voyageurs ? Mon petit doigt me dit que nos énarques n’ont pas réfléchi au problème. Et il se passera ce qui s’est passé avec l’électricité : on rationnera les déplacements : « désolé, il n’y a plus de place, vous restez chez vous (ou au bureau) ». Comment dire... ne va-t-on pas voir plus de monde prendre sa voiture pour des trajets courts ? C’est de l’écologie ?
3. Le monopole et ses travers. La SNCF est vérolée par la CGT, Sud, et autres syndicats ultra-politisés. En supprimant la concurrence, l’État se prépare à donner une arme redoutable à ces syndicats mafieux, qui prendront le pays en otage et feront monter un peu plus les prix en rendant la SNCF moins efficiente. Là également, je doute que les conséquences de ces belles décisions – sur le papier – aient été réfléchies jusqu’au bout.
Voilà ce qu’il en est des politiques pseudo-écologiques depuis quelques années : des actions décidées arbitrairement et dans la précipitation, sans préparation, et sans déminage préalable des problèmes potentiels. Nos politiques ne savent plus que générer des « black-outs ». Au royaume des imbéciles, les énarques sont rois.