Yann Bizien
Faire passer la réforme des retraites pour un progrès nécessaire, juste, cohérent et efficace... La communication politique est aussi l'art de créer de l'illusion et de faire avaler les plus grosses couleuvres.
Je suis en effet stupéfait du raisonnement et des arguments avancés par les tenants de « l’arc républicain », cette panoplie d’élus déconnectés du réel et des soucis du peuple, pour la réforme de nos retraites. Mais pas seulement : combien d'économistes se sont trompés sur les moyens de traiter nos défis, quand on sait que notre pays est en faillite ?
Le moteur et le carburant de cette réforme « pour l’allongement de la durée du travail » reposent principalement sur la volonté de faire des économies sur le dos des actifs pour sauver notre dispositif de solidarité entre générations.
L'argument majeur est connu : "Nous vivons plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps".
Une réforme, pour réformer ? Une réforme pour faire comme nos voisins ?
Volonté d’augmenter les richesses produites, donc du surplus d’impôts et des richesses fiscales. Volonté de ramener à zéro un déficit estimé à 12 Mds d’€uros dans la prochaine décennie. Volonté de remédier à la cause principale de notre problème, c’est-à-dire la baisse des recettes directement liées à la chute du nombre de cotisants. Volonté de gains nets pour les comptes publics de 23,5 Mds d’€uros. Volonté de hisser à 17,7 Mds d’€uros en 2030 le rendement d’un report de l’âge légal de départ à 64 ans, au rythme de trois mois par an, en complément de l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation. Volonté de porter à 43 ans dès 2027 au lieu de 2035 la durée de cotisations nécessaires pour bénéficier d’une pension à taux plein. Volonté d’instaurer une retraite minimum à 1200 € pour un coût de 2 Mds d’€uros. Et volonté de ne pas toucher aux acquis des nantis les plus préservés par le syndicalisme et des régimes spéciaux.
Réforme complexe, et chantier miné, donc, car très largement rejetés par les syndicats et les actifs qui préparent les conditions d’un rapport de forces, celui de la rue, qui n’aboutira probablement à rien car l’exécutif bénéficie de la complicité et du soutien implicite des Républicains qui déclarent déjà leur victoire sur cette réforme qui n’est en réalité qu’un grand recul de la condition des actifs.
Cette volonté de réforme « abrasive » intervient surtout dans le pire des moments pour les Français avec une convergence de crises. En faisant nos courses ce matin, je me suis rendu compte que de plus en plus de ménages, très inquiets, regardaient leur ticket de caisse dans les détails, s’interrogeant sur de nombreuses augmentations de produits de première nécessité.
Contestation, colère, frustration et sentiment d'injustice grondent à bas bruit à ce stade. Les Français refusent en effet ce report de l’âge légal à 64 ans pour environ 80% d’entre-eux.
1995, 2003, 2010 : le pouvoir dépense l’argent des contribuables pour favoriser l'assistanat et acheter la paix sociale, pour subventionner une immigration envahissante et coûteuse, pour financer une solidarité généreuse mais qui n’est plus nationale depuis longtemps, pour reporter à plus tard la cause d’une guerre civile plausible et échapper à ses responsabilités pourtant historiques.
Depuis 30 ans, au moins, le pouvoir, aidé du MEDEF, tente de faire reculer l’histoire du progrès sur cette question si importante de nos retraites. Il sait aujourd'hui qu’il peut très vraisemblablement obtenir gain de cause dans un contexte politique permissif malgré une mobilisation exceptionnelle annoncée par les syndicats et les Partis politiques qui ont décidé de ne pas suivre le Gouvernement.
Un combat de société est donc en train de s’engager. Emmanuel Macron, après des années de « quoi qu’il en coûte » et ses petits chèques de financement de « mesures », donne le sentiment que la seule variable d’ajustement pour assainir et renforcer durablement notre dispositif de retraites, ce sont les actifs.
La vérité est qu’il y a en France de nombreuses pistes d’économies pour financer nos retraites et pour pérenniser nos acquis comme notre modèle.
La vérité est que l'humain ne compte pas chez Emmanuel Macron qui aura multiplié les embardées et les retournements de vestes. Il a renoncé à la fusion des 42 régimes spéciaux. Il n'a pas voulu gommer les inégalités entre catégories de travailleurs. Il n'est pas parvenu à casser les corporatismes. Et il n'a jamais connu la pénibilité, le mal au dos, les ampoules aux mains, les douleurs aux genoux, le froid, la pluie, la chaleur et le danger au travail.
En France, un €uro cotisé pour une retraite ne donne toujours pas les mêmes droits à la fin. Et se sont les mêmes qui trinquent.
Alors, Mesdames et Messieurs les Sénateurs et Députés des vraies oppositions, sortez vos propositions, comparons, résistons et faisons reculer l’exécutif mais pas l’histoire et le progrès qui a encore beaucoup de progrès à faire.