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23 janvier 2023

Travailler plus ou s'appauvrir

Jean Mizrahi

Quelques chiffres pour tous ceux qui me reprochent mes thèses sur le travail et sa durée (avec en question sous-jacente, celle des retraites) :

- en 1981, quand la gauche a fait passer la retraite à 60 ans, les moins de 20 ans représentaient 1,77 fois les plus de 60 ans. Aujourd'hui, ils ne représentent plus que 0,88 fois. Le rapport a été divisé par deux en quarante ans. Imaginez l'impact dans quelques décennies. Mais ce qui a changé en plus de cela, c'est que depuis 2010, la natalité est en baisse de 10% environ. Les choses vont donc s'aggraver.

- aux mêmes dates, les plus de 90 ans, c'est à dire ceux qui entrent dans la dépendance (avec les coûts que cela implique) représentaient 156.000 personnes, soit 0,3% de la population. Aujourd'hui ils sont 885.000 et représentent 1,4% de la population. La tendance ne va faire que continuer dans la même direction. Qui va payer pour ça ?

Ne rêvez pas, la belle époque des retraites à 60 ou même 62 ans avec 35 heures hebdomadaires est derrière nous, il va falloir travailler beaucoup plus ou bien choisir de s'appauvrir très fortement, comme certains le suggèrent en parlant de décroissance.

Retraites : Macron en mission de traîtrise ?

Pierre Duriot

On se demande à quoi joue Macron avec sa réforme des retraites ? Le Conseil d’Orientation des Retraites lui dit et lui redit, tous les jours, que la retraite par répartition n’est pas en péril et que la réforme n’est pas nécessaire. Les syndicats, qui ont largement appelé à « faire barrage » à ce qu’ils appellent l’extrême droite, veulent maintenant combattre un programme qu’ils ont, de fait, avalisé. La majorité des Français est contre, même s’ils ne sortent pas dans la rue, rincés qu’ils sont par les confinements, la précarité, l’inflation et la terreur médiatique, instillée en permanence par les médias, tous prompts à faire la promotion des initiatives gouvernementales, ils sont largement subventionnés pour ça.

Dussopt, qui a une bonne tête de fusible, un peu à la Devaquet, en est réduit à défendre cette fichue réforme, avec des arguments d’égalité et de solidarité qui ne tiennent pas une seconde parce qu’ils sont faux. Le Ministre sait parfaitement qu’ils sont faux, il cause à reculons. Le seul effet tangible de cette réforme est que plus personne, entre maladies, invalidité, études à rallonge et périodes de chômage, ne pourra prétendre à une retraite pleine. Et que donc, la seule façon de s’en sortir sera de se planifier, pour ceux qui en auront les moyens, une retraite par capitalisation auprès des grands groupes, principalement américains, puisqu’ils sont largement prêts, totalement à l’affût et en plus, bons amis de Macron, le président. En particulier Black-Rock, mais pas que. Ce qui explique l’entêtement du président, qui fonce contre vents et marées, simplement parce qu’il doit avoir un contrat avec ces gens là.

Cela expliquerait aussi, pourquoi il coule EDF, pourquoi il a vendu Alstom et pourquoi il laisse les boîtes américaines, acheter une à une nos entreprises stratégiques. Il y a chez cet homme, pour les retraites, comme pour le reste, une traîtrise permanente à sa nation, au profit des Américains. Souvenons-nous qu’il a été formaté chez Rothschild. Certains arguent que le gouvernement pourrait utiliser l’article 47.1 en plus de la possibilité d’un 49.3 pour faire passer sa réforme des retraites, article qui n’a jusqu’ici, jamais été utilisé dans l’histoire de la 5ème République. Il est applicable au financement de la sécurité sociale. À savoir si le dossier des retraites pourrait rentrer dans ce volet du budget. Quoi qu’il en soit, ce 47,1 permet de couper court aux débats à l’Assemblée nationale et d’envoyer le texte directement au Sénat. Au-delà d’un délai imparti de 15 jours, comme le souligne la Constitution, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance, c’est-à-dire le chef de l’État, qui ferait ainsi le cadeau attendu à ses commanditaires. Le problème est qu’à force, ça commence à se voir.

22 janvier 2023

Avec une retraite de 1.200 euros (brut), une ardoise d'environ 15.000 euros par année d'EHPAD

Marie Penicaut

Et plus pour ceux qui ont encore moins de retraite...

En réalité le fruit du travail d'une vie ou de deux générations peut y passer pour les classes moyennes qui seront obligées bien souvent de vendre le petit logement de la personne pour payer l'EHPAD ou rembourser l'aide sociale à l'hébergement (ASH).

Attention, n'imaginez pas qu'il suffirait de liquider sa succession juste avant d'entrer en EHPAD : tout ce qui a été transmis moins de 10 ans avant l'entrée en EHPAD sera réclamé à ceux qui ont hérité... Un monde formidable...

Donc, dans l'avenir le choix va être vite fait :
 
- pour les classes basses et moyennes ce sera l'euthanasie, vite ! plutôt que de rentrer en EHPAD et de perdre le peu de patrimoine qu'une ou deux générations ont réussi à constituer.

- par contre les retraités qui ont au-delà de 2.500 euros par mois de retraite pourront, eux, gagner un peu de temps de vie sans entamer le patrimoine...

Vous avez dit égalité devant la maladie et la mort ?

À méditer en ces temps où on fait saliver les plus naïfs avec des retraites à 1.200 euros brut...

En grève !

René Chiche

Je suis en grève contre la réforme des retraites, et je participerai à toutes les grèves jusqu'au retrait de la mesure d'âge.

Mais je ne veux pas être pris pour un con. À partir du moment où l'on prélève 1/30e de mon traitement même pour une heure de cours non assurée, il est hors de question que je travaille et que ma grève ne dérange personne.

DONC : puisque j'avais prévu de corriger des copies ce jour-là, et puisque je suis en grève, eh bien je ne les corrigerai pas. Point.

Et puisque j'ai aussi prévu de corriger des copies le 31/01 et que je serai derechef en grève ce jour-là, eh bien je ne les corrigerai pas.

DONC : au second trimestre, zéro notes.

En toute légalité.

Faut pas pousser !

Macron arrête son char

Pierre Duriot

Le char Leclerc en Ukraine, ce n’est pas pour tout de suite, mais le président a sa manière bien à lui de tourner son discours et le mieux est de le décrypter à l’aune des réalités. Il ne veut pas que ce soit « escalatoire », le mot n’existe pas, mais on a bien compris qu’il ne voulait pas avoir l’air d’être en guerre avec les Russes, déjà que quelques va-t-en guerre, autour de Poutine, préconisent des frappes de rétorsion sur l’Hexagone, après les livraisons de canons Caesar et des AMX-10. La réalité est que la conduite d’un char Leclerc et son insertion dans un champ de bataille régi par l’électronique, ça ne s’improvise pas. Il faut cinq à six bons mois d’entraînement pour qu’un équipage soit opérationnel sur cette machine complexe. En clair, la France devrait à minima fournir des instructeurs, sinon même, des équipages formés et pour le coup, ce serait carrément « escalatoire ». Macron craint donc les éventuelles frappes russes sur notre sol et commence à prendre conscience qu’il en fait un peu trop.

Comme seconde condition, Macron estime qu’il ne faut pas dégarnir l’armée française. Nous disposons de 200 de ces chars, certes anciens mais comptés encore parmi les plus performants. Il est d’ailleurs fort probable que nous ayons purement et simplement, perdu la capacité à les fabriquer. Pas mal d’entre eux sont immobilisés, en panne, en maintenance et les 200 qui seraient opérationnels sont déjà un genre de minimum vital, au regard des longueurs de nos frontières terrestres et pour le coup, nous serions dégarnis. Il faut ajouter que l’armée française a été dépossédée de pas mal de ses Rafale, vendus d’occasion et que les nouveaux se font attendre, le premier n’a été livré que très récemment. Que de nombreux hélicoptères sont en maintenance. Que pas mal d’engins, comme les avions de surveillance, sont âgés et ne seront remplacés que dans quelques années. La Marine a perdu de nombreuses unités ces dernières années, nous n’avons qu’un seul porte-avions… bref, nous ne roulons pas sur l’or et donner quelques chars serait déjà se dégarnir. Il est bon que Macron en prenne pleinement conscience, ce qui lui a sans doute été soufflé par des généraux mieux informés que lui et surtout, moins hystériques. Il va se rattraper avec les milliards de nos impôts qui prennent la route du nord-est, en direction des poches de Zelensky qui voit, très curieusement, sa fortune personnelle augmenter de manière très conséquente malgré la guerre.

Au RPF, nous le disons depuis le début, ce n’est pas notre guerre. Que font les Américains si loin de chez eux et qu’ont-ils de si précieux dans ce pays pour y passer des dizaines de milliards ? Il faut privilégier le dialogue avec Poutine, même si cela a l’air d’en hérisser quelques-uns. Le président russe qui, selon notre presse, avait des cancers, la maladie de Parkinson, une révolte de ses généraux sur le râble, la détestation du peuple russe, a plutôt l’air de se porter comme un charme. Il est donc parfaitement apte à discuter.


Du gaz qatari à défaut de gaz russe ?

Radu Portocala

Pour se libérer de l’emprise du gaz russe, pour ne plus « faire couler du sang ukrainien dans les radiateurs », comme l’a dit l’un de nos nombreux génies, une partie de l’Europe est allée acheter du gaz au Qatar. C’est-à-dire du gaz démocratique.
Cependant, des députés européens malveillants ont découvert que le Qatar a approvisionné en argent liquide, par sacs entiers, d’autres députés européens, plutôt socialistes et éminemment moralisateurs, afin qu’ils plaident en sa faveur dans diverses occasions.
Ainsi est né ce que la presse a appelé le Qatargate. Les méchants voulaient une enquête, l’espéraient, l’annonçaient même. Des révélations scandaleuses étaient attendues. Mais tout cela, comme on pouvait s’y attendre, a énervé le Qatar. Qui a fait savoir que si l’Union européenne continuait avec ces bagatelles, les livraisons de gaz allaient s’arrêter.
Nous voilà, donc, devant un dilemme plutôt cocasse : soit nous reconnaissons qu’un choix imbécile a été fait, et nous laissons la justice suivre son cours en nous privant de gaz ; soit nous arrêtons recherches et poursuites et continuons à acheter le gaz qatari, acceptant ainsi la victoire du chantage et l’impunité de la corruption. Ce serait être immoral au nom de la morale. Une posture qui ne peut en rien gêner les bureaucrates de Bruxelles et d’ailleurs.

Le RER d‘Alsace « n’est pas un fiasco » selon le ministre des transports, Clément Beaune

Eric Vial

Je commence à comprendre les problèmes de déconnexion des politiciens avec les Français : ils sont totalement hors sol et prennent leurs désirs pour la réalité.
Au moment où j’écris ces mots, ma fille n’a plus de train pour se rendre à l’école le matin. Son lycée mène actuellement une enquête auprès des parents pour « trouver des solutions alternatives ».
Des rames sont constamment supprimées sans aucune information préalable, laissant dans le désarroi des enfants, étudiants, travailleurs et des chômeurs sur les quais des gares dans un froid de canard.
Ceux qui circulent sont en retard, parfois d’une demi-heure pour faire dix kilomètres.
Des lignes sont supprimées. Des gares sont fermées. Les gens sont révoltés et écœurés. « Mais où passent nos impôts ? »
Pire, les patrons qui financent la moitié des abonnements sont excédés par les retards fortuits de leurs employés. Clairement cela fragilise davantage leurs entreprises dans un contexte déjà difficile. Mettez-vous à la place d’une vendeuse qui doit ouvrir son magasin à 10h et qui attend à vingt kilomètres de là son train qui ne viendra jamais…
Certains employeurs n’hésitent pas à dire qu’ils font de la discrimination à l’embauche lorsqu’ils apprennent que le transport privilégié par les demandeurs d’emploi est le train…
Enfin, chacun peut constater le retour des bouchons à Strasbourg. La mairie a fait de la chasse à la voiture une priorité en finançant des modes de transports alternatifs (vélo ou transports en commun).
Pourtant, mettre son vélo dans le train est devenu quasiment impossible : c’est la guerre ! Les voyageurs s’insultent.
Bref, rien ne fonctionne correctement. La situation est même pire que ce qui existait avant le RER alsacien. « Ce n’est pas un fiasco », c’est vrai, c’est une gabegie, une honte de traiter ainsi les citoyens. Inacceptable.
Des responsabilités politiques devront clairement être pointées.

21 janvier 2023

Nono Le Maire : la boussole qui indique le sud

Gilles La Carbona

Le Forum de Davos s’est achevé avec la brillante intervention de Nono le farceur, alias Bruno Le Maire, le Mozart de la finance.

Quelques jours avant, nous avions eu droit à une intervention d’Ursula von der Leyen, pas piquée non plus des hannetons. En substance elle nous a dit que, si nous faisions les bons choix, avec les bons investissements et les bonnes innovations, on serait les meilleurs. Mon dieu, quelle profondeur dans la pensée.

Nono le comique lui a emboîté un si bon pas : « L’Europe, ces trois dernières années, est devenue une superpuissance politique… ». On se pince, mais non on ne rêve pas. Ce sont bien ses propos. Il n’a aucune honte à décrire l’Europe comme une superpuissance, alors qu’elle est totalement écartée des pourparlers sur la guerre en Ukraine, puisque, de Macron à Scholz, en passant par von der Leyen, ils ont choisi la poursuite de la guerre, après avoir menti sans état d’âme, pendant sept ans, sur les buts cachés des accords de Minsk. Les sanctions russes se retournent toutes contre l’Europe, à tel point que des entreprises allemandes délocalisent aux USA et les faillites s’accélèrent, notamment en France. C’est donc ce canard boiteux, qui est incapable d’alimenter Zelensky en munitions et matériels de guerre, sans se démunir, que notre Ministre appelle une « Superpuissance politique ». On en reste bouche bée. Le pire est qu’il y croit dur comme fer, comme quand il nous disait qu’il allait mettre à genoux l’économie russe.

La répartie va lui coller aux basques longtemps, qu’à cela ne tienne, il fait comme s’il l’avait déjà oubliée. Par définition, la macronie ne se trompe jamais et si d’aventure la réalité devait la contredire, elle n’existe pas. On le savait incompétent, globalement déconnecté de la réalité, on le découvre nul en géopolitique, ce qui ne l’empêche pas de venir clabauder, en auto expert proclamé. D’ailleurs, il a un argument imparable. Il dit : « Mais regardez, nous sommes encore là trois ans après. » Alors, si ça ce n’est pas une preuve indiscutable. Mais non, Nono est là simplement parce qu’il a été invité par son mentor Schwab, mais ça n’atteste, ni de la superpuissance imaginée de l’Europe et encore moins de la justesse des vues ou idées de ce forum.

Ce qui est rassurant c’est d’abord de voir le niveau des intervenants. Discours approximatifs, autosatisfaction érigée en vérité : on se croirait à une cérémonie des Césars. Si c’est là, la seule stratégie, on peut légitimement penser que leur fin est proche. Ce qui est déjà l’avis de plusieurs analystes. Nono nous rassure : chaque fois qu’il annonce quelque chose c’est l’inverse qui se produit. L’Europe super puissante dont il parle est donc à l’agonie et c’est tant mieux, il y a du ménage à faire et des comptes à exiger. Nono, la boussole qui indique le sud, nous rassure enfin.


Pointer les responsabilités

Eric Vial

Comme dans n’importe quelle entreprise ou réalisation collective, il est temps de « dresser un bilan et des perspectives ».

En 7 ans, où est-ce que cela va mieux en France : services publics, logement, transports, pauvreté, énergie, démocratie, moral, économie, politique internationale, Santé, Défense, Sécurité, agriculture, écologie, social, vieillesse, Éducation, impôts, enfance, recherche, paix, travail, inflation, pouvoir d’achat, développement durable, moralisation de la vie politique, influence de la France à l’étranger… ?

Les élus et les représentants de la Nation ont-ils bien fait leur travail de préservation et de sécurisation des intérêts collectifs ?

Partant de vos constats, sans être dans une posture, imaginez maintenant les perspectives d’amélioration et les modifications à apporter pour atteindre vos projets de développement : avoir une vision positive pour l’avenir des citoyens.

C’est cela faire de la politique !

20 janvier 2023

Rentrée 2023 - Allocution de François Molins, Procureur général près la Cour de Cassation

[Extraits] Notre Justice est en crise, depuis longtemps, trop longtemps. La crise est profonde et se traduit à la fois par une crise du service public de la Justice et plus largement par une crise de nos institutions. Ces dernières années ne peuvent qu’inspirer de vives inquiétudes qu’une augmentation des moyens budgétaires ne suffira pas à elle seule à lever.

Crise du service public de la Justice qui a trouvé son paroxysme dans la tribune des 3000 et dans l’émotion suscitée par la mort, en octobre dernier, dans une violente brutalité, de notre collègue de Nanterre, Marie Truchet, à l’audience, en robe, dans l’exercice de ses fonctions. Une crise du service public de la Justice qui se traduit par des délais de jugement qui s’allongent, une dégradation de la qualité des décisions, faute de temps pour les motiver et leur exécution trop tardive et trop aléatoire sur fond de surpopulation pénitentiaire qui peut aboutir à des conditions de détention indignes et s’opposer à l’engagement d’actions de réinsertion. Comme l’ont montré les États généraux de la Justice, cette crise est ancienne. Les stocks des juridictions ont augmenté de 37% entre 2005 et 2019. En matière pénale, les clignotants sont au rouge. Au 31 décembre 2019, 1 400 000 affaires pénales attendaient d’être jugées et 2 millions de plaintes sont en attente de traitement dans les commissariats de police où l’on demande aux magistrats du parquet d’aller pour les réorienter, et en fait de classer les dossiers dans lesquels, compte tenu du temps écoulé, une enquête n’apporterait rien.

Cette situation s’est dégradée avec la crise sanitaire, et les mesures d’urgence prises en fin de législature n’ont pas permis, en dépit de la rapidité de leur mise en œuvre, de rattraper le retard accumulé. Cette situation a engendré, malgré les renforts de personnels contractuels, un profond découragement et surtout de la souffrance. Aujourd’hui, le système ne tient que grâce à l’engagement et à l’abnégation des magistrats et des fonctionnaires de greffe. On ne dira jamais assez leur dévouement et quand on connait la réalité de leurs conditions de travail, ils suscitent l’admiration.

Cette crise de la Justice se double d’une crise plus profonde de nos institutions et de notre modèle démocratique à force d’attaques quotidiennes, petites ou grandes, à la séparation des pouvoirs. Même s’il n’est pas récent et a été régulièrement dénoncé par mes prédécesseurs, le phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. Afficher pour la Justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas sur son prétendu laxisme, ou mettre en cause la légitimité de son action, tout cela avilit l’institution et en définitive blesse la République. Comme l’a dit le président de la République lui-même à Poitiers dans son discours fondateur des États généraux le 18 octobre 2021, « une démocratie où on laisse la défiance s’installer et la justice être attaquée est une démocratie qui sape ses propres fondements ».

L’autorité judiciaire se trouve aujourd’hui prise dans un véritable étau : accusée d’être un danger pour la démocratie parce qu’elle empièterait sur les prérogatives du législateur d’un côté, elle est tout en même temps accusée de ne pas remplir son office lorsqu’elle applique strictement la loi. Dans un cas comme dans l’autre, son action est malheureusement remise en cause, au gré des décisions rendues et notamment par les représentants des autres pouvoirs. Certains n’hésitent pas à verser dans l’outrance en prétendant que le juge serait devenu un ennemi de la démocratie car il empêcherait l’application de la loi votée par le parlement.

Cette contestation ne se limite pas à notre pays. Elle est quasiment planétaire. Comme l’a montré le rapport du comité des États généraux, l’office du juge a profondément évolué. Le juge n’est plus, selon la formule lapidaire de Montesquieu « la bouche de la loi ». Il participe à la production du droit car il doit, à travers le contrôle de conventionalité/proportionnalité, articuler la loi nationale avec les normes supranationales résultant du traité fondateur de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais ce n’est là que la volonté du constituant qui a décidé la primauté de la norme internationale sur le droit interne et c’est bien le Parlement qui a autorisé la ratification de nos engagements internationaux. Aujourd’hui, la loi est une norme parmi d’autres, au sein d’une hiérarchie subtile qui dépasse le cadre national : au-dessous, une masse de textes réglementaires, au-dessus, un bloc de constitutionnalité et une multitude de textes et de traités internationaux directement applicables dans notre droit interne, le tout sous le contrôle de juges nationaux et de juges européens avec la CJUE et la Cour EDH.

Mais, n’en déplaise aux fâcheux, tout magistrat, qu’il appartienne au siège ou au parquet dans notre pays, est et reste le serviteur de la Constitution et de la loi. Il est plus que jamais le gardien des promesses démocratiques dans un monde où la loi a profondément évolué et dans le mauvais sens. Comme l’a souligné Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, elle était brève, claire et riche. Elle est devenue confuse, bavarde et pauvre et elle est de plus en plus fondée sur l’émotion suscitée par le fait divers. Le comité des États généraux a montré combien sa mise en œuvre laissait à désirer faute de véritables études d’impact et dans un contexte de sous-dotation des moyens dédiés, ce qui a fait dire à la Cour des comptes que chaque réforme faite dans ces conditions aggravait en réalité la situation. Le comité des États généraux l’a martelé et je pensais que le message avait été compris. J’en ai douté quand j’ai vu le mois dernier l’Assemblée nationale adopter une proposition de loi créant des juridictions spécialisées en matière de violences faites aux femmes sans aucuns moyens supplémentaires.

Depuis, des annonces ont été faites. Le constat est donc partagé et il semble que la mesure de l’état de délabrement dans lequel se trouve la Justice a enfin été prise. Aussi, comme je l’ai dit au début de mon propos, l’annonce d’une augmentation sans précédent du budget du ministère de la Justice d’ici 2027 et les engagements de recrutements supplémentaires substantiels doivent être salués ici. Et il faudra que ces nouveaux moyens humains et financiers soient répartis de telle sorte qu’ils permettront d’améliorer réellement les conditions de travail dans les juridictions tout en assurant une meilleure qualité de la Justice rendue, sans oublier l’objectif de lutte contre la récidive qui doit nécessairement sous-tendre la philosophie de la politique pénitentiaire.

Je suis profondément convaincu que la survie du ministère public à la française passe par une réforme qui consolide son statut et dont on voit bien, qu’au-delà des bonnes intentions, elle n’est toujours pas là, au point que certains ont pu la qualifier d’Arlésienne de la Vème République. Il ne s’agit pas, comme certains essaient de le faire croire, de proclamer sa totale indépendance. Bien au contraire, la loi doit s’appliquer de façon identique sur l’ensemble du territoire national et il est indispensable de mettre en œuvre la politique pénale décidée par le gouvernement. Il s’agit de tout autre chose. L’importance du rôle du parquet impose de protéger et de garantir sa neutralité et son impartialité par un statut lui donnant des garanties suffisantes. Comme l’a précisé le Conseil supérieur de la magistrature dans son avis de juillet 2020 remis au président de la République, il est indispensable de parvenir à un dispositif tel que la question de la suspicion ne se pose plus. L’avis conforme du CSM bien sûr mais il ne suffit pas. Quand il s’agit de nommer les procureurs généraux et les procureurs de la République et tout particulièrement ceux des plus hautes cours de ce pays, le processus de nomination doit être fondé sur la seule aptitude, les seules qualités professionnelles et doit être exempt de toute suspicion. Le processus de nomination ne peut et ne doit comporter la moindre faiblesse institutionnelle ni la moindre critique. Il en va de la crédibilité de l’institution mais aussi de la crédibilité de notre démocratie au regard des standards imposés au niveau européen.