J’avoue qu’en dépit du succès indéniable et massif des manifestations organisées par les syndicats institutionnels depuis une dizaine de jours, j’ai du mal à prendre au sérieux le mouvement initié contre la réforme des retraites.
De loin, car je n’y participe pas, il me semble à la fois trop conventionnel et paradoxalement trop consensuel pour parvenir à ébranler en profondeur le pouvoir macronien, dont l’isolement a cessé de constituer la principale faiblesse.
Il me donne même l’impression de se résumer pour l’instant à une sorte de pantomime un peu académique ou convenue que la gauche se joue à elle-même, à travers la provisoire réconciliation de la CGT et de la CFDT, devant un public qui est à la fois bienveillant et secrètement résigné.
Car à vrai dire, il n’y a aucune raison pour que Macron cède aux pressions de la rue si elles se limitent à ce qu’elles sont aujourd’hui : le Banquier Président a été réélu pour un second et ultime mandat, et assez largement par ceux-là mêmes (Mélenchon, Rousseau, Jadot, Martinez, Berger, Autain) qui manifestent aujourd’hui contre un projet de réforme, certes parfaitement injuste et bêtement comptable, mais qu’il avait pourtant très clairement assumé et annoncé lors de la courte campagne présidentielle qu’il a menée l’an dernier.
Politiquement, Macron aujourd’hui ne risque plus grand-chose, sauf si une nouvelle insurrection comparable à celle des Gilets jaunes provoquait une crise de régime, mais actuellement je n’en vois pas du tout les conditions réunies : il est rare qu’on parvienne à déstabiliser ou à renverser un chef d’État en début de mandat, surtout quand ses oppositions sont divisées et se complaisent assez bien dans l’entretien de cette division (le week-end dernier encore, les mélenchonistes ont fait élire, à 600 voix près, dans une législative partielle de Charente, une candidate macronienne contre une députée sortante du RN).
En règle générale, j’ai toujours du mal à donner raison à des gens légers, inconscients ou versatiles, qui n’assument pas les conséquences de leurs opinions ou de leurs actes.
Car il n’y a pas eu seulement la confortable réélection de Macron en amont de cette contre-réforme. Sans cesse depuis vingt ans, les Français, même s’ils s’abstiennent de plus en plus dans les urnes, n’ont cessé de porter au pouvoir des présidents maastrichiens (plus ou moins) favorables à la mondialisation et à l’intégration européenne en mode ordo-libéral de type germanique.
Que croient-ils donc ? Qu’ils vont parvenir à maintenir un système coûteux et isolé de répartition des richesses ou des retraites dans un monde voué depuis quarante ans au libre-échange global et au cœur d’une nation à la souveraineté entravée ainsi qu’en proie au déclin démographique ?
Les hommes et les femmes de gauche ressemblent de plus en plus aux aristocrates de la fin de l’Ancien Régime, dont Rivarol disait qu’ils prenaient leurs souvenirs pour des droits. Or aucun droit n’a de valeur en soi ; il dépend d’abord des normes et des principes qu’une société se reconnaît comme étant les siens à travers le choix des élites qu’elle a chargées de les défendre.
Pour que Macron recule, il ne faut pas seulement des millions de personnes dans la rue, mais a minima que sa majorité parlementaire se divise, que les vieux crabes LR lâchent le texte, et surtout que les classes moyennes paupérisées des provinces périphériques, potentiellement majoritaires chez les actifs, et les étudiants des universités des grands centres urbains entrent résolument dans la danse, sans craindre de devoir exercer contre les élus proches du pouvoir un certain degré de violences physiques (couper l’électricité de leurs permanences, c’est vraiment le minimum requis, et en fait bien peu de choses).
Je me trompe peut-être, mais pour l’instant je ne vois pas ces conditions en passe de survenir.