Emmanuel Macron rechigne à réagir face aux profits gigantesques de TotalEnergies et de son P.-D.G. Patrick Pouyanné (à droite).
Ludovic MARIN / POOL / AFP
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- 8/2/2023 - En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, TotalEnergies et la BNP dévoilent des profits records. Le pétrolier a ainsi réalisé un bénéfice 20,5 milliards de dollars en 2022, quand la majorité des Français se sont appauvris. Aux Etats-Unis, Joe Biden demande aux entreprises et milliardaires des efforts pour réduire le déficit. Et en France ?
Des milliards à en perdre la tête. Les unes après les autres, les grandes entreprises françaises publient en ce moment leurs résultats comptables de l'année 2022. Mardi 7 février, en pleine journée de mobilisation contre la réforme des retraites, la BNP Paribas annonçait ainsi un bénéfice net record de 10,2 milliards d'euros. 7 % de mieux que l'année dernière, déjà record pour la plus grande banque européenne. Et cela devrait durer. Le géant bancaire prévoit une croissance moyenne de son bénéfice de 9 % par an jusqu'en 2025, soit une augmentation d'un milliard d'euros par an. Ce mercredi, c'est au tour de TotalEnergies de dévoiler un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars, soit 4,5 milliards de plus qu'en 2021.
On pourrait se féliciter de la réussite éclatante de deux grandes entreprises françaises. Mais ce serait oublier que, le jour même de la publication de ses résultats colossaux, plusieurs sources syndicales indiquaient à l'AFP que la BNP Paribas projetait de supprimer 921 postes. Et que TotalEnergies s'en est mis plein les poches quand les consommateurs se sont ruinés à la pompe. Le pétrolier a profité à plein de l'explosion des cours du pétrole et du gaz – liés à la reprise économique post-Covid et à la guerre en Ukraine – sans que ces « surprofits » ne soient taxés par le gouvernement français. Certes, Patrick Pouyanné, le P.-D.G. de Total, a mis en place une ristourne à la pompe. Mais cela n'a coûté que 550 millions d'euros, soit pas grand-chose pour un groupe qui a pourtant reçu plus d'argent public ces dix dernières années qu'il n'a payé d'impôts en France, comme l'a récemment montré l'Obs.
LE GRISBI AUX ACTIONNAIRES
Mais, à écouter le gouvernement, il ne faudrait pas taxer ces profits parce que ces entreprises en auraient besoin pour « investir ». Sur le papier, le raisonnement peut s'entendre. Sauf que le capitalisme ne tourne pas rond en ce moment. Et même ses défenseurs s'en inquiètent. Il y a aujourd'hui « une anomalie majeure qui met en cause le fonctionnement du capitalisme », relève ainsi Patrick Artus, l'économiste de la banque Natixis et ancien administrateur de Total, dans une note publiée ce lundi. Alors que le taux de profit des entreprises a progressé de manière continue en Europe et aux États-Unis, le taux d'investissement de ces entreprises a baissé, constate cet économiste renommé.
Alors où part l'argent ? Beaucoup aux actionnaires, note Patrick Artus. Déjà largement servis par les dividendes, ceux-ci bénéficient à fond des rachats d'actions. En clair, les entreprises achètent leurs propres actions, ce qui fait monter leur cours et augmente leur bénéfice, au profit des actionnaires. Avec le versement des dividendes, c'est une autre manière de les rémunérer. TotalEnergies en est le champion français (13,3 milliards d'euros en 2022) et la BNP prévoit aussi d'y consacrer 5 milliards d'euros cette année.
SÉCESSION DES PLUS RICHES
Au total, en 2022, les actionnaires du CAC 40 ont perçu un retour de 80 milliards d'euros selon la lettre Vernimmen (15 % de plus que l'année dernière). Rappelons que ces fameux actionnaires sont d'abord des gestionnaires d'actifs et les familles qui détiennent les plus grosses entreprises. Ces deux catégories détiennent au moins 40 % du capital des sociétés cotées au SBF 120 (qui regroupe les 120 plus grosses entreprises françaises cotées en bourse) selon une étude publiée par Euronext et rapportée par les Échos. Les salariés ne détiennent que 2,4 % de ce capital.
Selon l'analyse de Patrick Artus, les grandes entreprises acquièrent aussi des biens immobiliers et rachètent d'autres entreprises. Un mécanisme qui conduit à augmenter fortement le prix des actifs – en particulier celui des maisons – et à une aggravation des inégalités de patrimoine. Le patrimoine des 1 % les plus riches ne cesse de grossir. Ils détiennent 25 % du patrimoine national dans la zone euro, et 35 % aux États-Unis.
En fait, ce que dit Patrick Artus, c'est que les grandes entreprises utilisent leurs profits gigantesques pour enrichir les plus riches. Et non pas pour investir dans l'économie, ce qui pourrait éventuellement ruisseler vers le reste de la population, même s'il est permis de douter de cette théorie. En clair, les riches font sécession, et ce ne sont pas des gauchistes qui le disent. « Ce mécanisme constitue une menace grave sur le capitalisme. Les opinions rejetteront le système qui utilise les profits pour faire monter davantage les prix des actifs existants et pas pour investir en capacités nouvelles », s'inquiète Patrick Artus.
L'EXEMPLE AMÉRICAIN
Face à cela, Joe Biden a promis de réagir, ce mardi, dans son discours sur l'état de l'Union. Le président américain entend « quadrupler les impôts » sur les rachats d'actions « pour encourager les investissements sur le long terme » et appelle à mettre en place une « taxe minimale » sur les milliardaires, jugeant « scandaleux » les gigantesques bénéfices des compagnies pétrolières.
Surtout, il martèle que le déficit public engendré par les investissements massifs dans la réindustrialisation du pays sera comblé par des impôts pesant sur les plus riches et sur les entreprises florissantes. Pendant ce temps, Emmanuel Macron et son gouvernement continuent à vouloir faire peser l'essentiel de l'effort sur les travailleurs. La réforme des retraites est en l'exemple le plus éclatant, et aussi le plus amer.