« Une initiative politique d’ampleur » pour la rentrée de septembre, a annoncé le président Macron dans une interview au Figaro magazine. Le chef de l’État éprouve le besoin de capter l’attention autour de formules-choc : la « transformation de la France » en 2017, le « grand débat » après les Gilets jaunes, « le monde d’après » qui devait suivre le confinement de mai 2020, puis le « conseil national de la refondation », les « cent jours » consacrés à l’apaisement après le mouvement social contre la réforme des retraites. Tout se passe comme s’il fallait combler un vide. La personnalisation du pouvoir, poussée de manière aussi outrancière, est un signe plutôt inquiétant. Elle consiste à cultiver l’émotion collective autour d’un individu pour couvrir l’angoisse ou la souffrance populaire.
La mémoire politico-médiatique est courte. La France a vécu un premier semestre 2023 épouvantable après la révolte des retraites, les scènes de Paris en feu qui ont contraint le pouvoir à reporter la visite de Charles III, puis l’explosion des banlieues dont le sinistre bilan (12 429 incendies de voie publique, 808 policiers blessés, 269 commissariats ou casernes attaqués) a été comme noyé dans un océan d’autosatisfaction. Depuis 2012, les Français n’ont pas connu un moment de répit, entre la vague d’attentats terroristes, les Gilets jaunes, l’épidémie de Covid-19 et l’instauration d’un Absurdistan bureaucratique, la guerre d’Ukraine et ses conséquences, l’inflation vertigineuse touchant notamment l’énergie et l’alimentation. Et toutes les conditions sont réunies pour une reprise de ce climat anxiogène et explosif, dès la rentrée de septembre, marquée par de nouvelles flambées du prix de l’énergie.
Le pouvoir politique organisé autour d’un chef de l’État en place depuis plus de six ans n’a plus les moyens de mobiliser les Français sur l’avenir. Quelle sincérité peut-on accorder aux belles intentions d’hommes ou de femmes qui sont au pouvoir depuis si longtemps et feraient aujourd’hui semblant de découvrir les problèmes du pays et de vouloir les résoudre ?
Alors, il leur reste à manipuler les peurs apocalyptiques, à susciter le sourire ou l’indignation par des provocations méprisantes, enfin, à faire rêver et entretenir l’émotion collective. C’est pourquoi le pouvoir politique présente les Jeux Olympiques de Paris de 2024 comme une ultime ambition collective. De fait, transformer une épreuve sportive en objectif suprême d’une Nation, avec son culte de la performance physique, n’est pas forcément le signe d’une bonne santé démocratique, comme tant d’exemples historiques le prouvent.
L’impopularité des dirigeants actuels (29% de confiance en le chef de l’État selon Elabe-radio classique) montre qu’une vaste majorité n’est pas dupe. Pourtant, ce qui caractérise l’époque, c’est l’absence d’alternative démocratique apparente. La gauche ne cesse de s’enfoncer dans une radicalisation à l’image des attaques du leader de la Nupes contre le CRIF, ou de l’invitation par les Verts-Écologie d’un rappeur ayant chanté la « crucifixion des laïcards ». Quant au RN de Mme le Pen (ou équivalent nationaliste), supposé favori des sondages, il donne une image beaucoup trop radicale et connotée historiquement pour espérer conquérir une crédibilité, puis réunir 50% des suffrages et surtout, une majorité à l’Assemble nationale. La « droite » dite « de gouvernement », elle, demeure profondément déchirée entre partisans et adversaires d’un « accord de gouvernement ». Comme vissée à ses désastres électoraux de 2022, elle ne parvient pas se dépêtrer de sa contradiction fondamentale. Comment se prétendre « d’opposition » tout en soutenant avec zèle, sur de nombreux dossiers sensibles, un gouvernement immensément impopulaire ? La vertigineuse poussée de l’abstentionnisme (54% aux dernières législatives) est le signe patent d’une désespérance politique, quand la « chose publique » ne semble plus offrir de solution collective.
La France est pourtant confrontée à de gigantesques défis tels que l’effondrement de son niveau scolaire, la banalisation des violences quotidiennes, la désintégration du corps social, la maîtrise de ses frontières, l’explosion de la dette publique, du déficit extérieur et de l’inflation, la pauvreté croissante et la crise des services publics – sans même parler des sujets internationaux. Sans doute existe-t-il un boulevard politique pour qui saurait trouver les mots d’une réconciliation avec le peuple et du retour de la confiance. Mais comme sœur Anne, les Français ne voient rien venir… 12/8/2023