Philippe MiquelÉlèves analphabètes, ingrats, vides et avides, platement réduits à deux dimensions, profs pusillanimes, à peine plus instruits, tout aussi conformistes, sourds, muets, aveugles pour la plupart. Syndicats moutonniers, partisans, frileux et impotents ; doxa wokiste, bien pensance obligée, réflexion balisée ; réformes pléthoriques, absurdes, hors sol, chronophages ; menaces directes ou indirectes (avec désormais l’option décapitation) ; parents démissionnaires, procéduriers, intransigeants, direction lâche, stupide, superficielle (une boussole qui indique le sud). Et le tropisme du privé pour le public s’accélère. L’attraction de l’abîme peut-être. J’étais souvent la seule à dire non, la seule à ne pas vouloir d’iPad en cours, pour les élèves et pour les profs. Asphyxiée par la bêtise, l’inconséquence, la mièvrerie ambiante, je ne pouvais presque plus exercer mon métier. Don Quichotte. Sisyphe. J’ai choisi Cyrano.
Formatage, bourrage de crâne, l’école n’est même plus un village Potemkine (on peine à cacher les ruines sous le tapis) mais un grand ratage institutionnalisé, un Mc Donald's qui gave les esprits de malbouffe (chacun vient comme il est), un système lénifiant, de plus en plus inégalitaire (fruit de plusieurs décennies de bourdieuseries), une vaste entreprise de déconstruction, de déstructuration, de décivilisation (comme dit l'autre).
Par intérêt sans doute, paresse, idéologie, cynisme, ils ont tué l’intelligence, l'esprit critique, la pensée libre, la vraie culture, le goût, l’exigence, l’histoire, la mémoire, l’identité, l’âme. Ils ont découragé les meilleurs, les plus motivés, les plus solides. Une violence inouïe, insidieuse, quotidienne, banale, destructrice. Une violence qui ne dit pas son nom. La « fabrique des crétins » est devenue la fabrique des barbares. Logique et chronologique.
Alors, je suis partie. Rester n’aurait eu ni sens, ni sève, ni saveur. Pas de complaisance ni de compromission. Un choix, pas une fuite. Une révolte, pas une démission. Je n’ai manqué à personne, personne ne m’a manqué. Cela remet l’ego à sa juste place. Cette liberté a un prix. Forcément. Officiellement, je suis en arrêt maladie. Mon salaire suit les méandres complexes d’une administration kafkaïenne (pléonasme). Bref, je ne gagne pas grand-chose et j’aurais une retraite de misère. Mais je ne regrette rien. Ils n’auront pas ma peau, ni ma liberté, ni mon temps.
Ma colère est à la mesure de ma déception, de ma désillusion, de mon désenchantement. De mon impuissance. Tout a été dit depuis longtemps, rien ne change. Avec l’Education nationale le pire est toujours sûr. Je ne regarde pas en arrière, je ne veux pas être amère. C’est fini. Ailleurs, loin, définitivement et dans l’indifférence de ce qui adviendra à ce pays, je préfère cultiver mon jardin. (30/09/2023)