De gauche à droite: Jordan B. Peterson, Bari Weiss et Julian Assange. Photo: compte X du journal Die Welt.
Dans la Déclaration de Westminster, près de 140 personnalités parmi lesquelles Jordan B. Peterson, Julian Assange, Bari Weiss et Edward Snowden prennent la parole pour dénoncer la mise en place d’un vaste système de censure à travers le monde.
En signe d’appui, Libre Média reproduit intégralement la déclaration ci-dessous.
Ce manifeste a été rédigé par des journalistes, artistes, auteurs, activistes, spécialistes en technologie et académiciens pour mettre en garde contre la croissante censure internationale qui menace d’éroder des normes démocratiques centenaires.
En provenance de la gauche, de la droite et du centre, nous sommes unis par notre engagement en faveur des droits universels de l'homme et de la liberté d'expression, et nous sommes tous profondément inquiets par les tentatives visant à qualifier la parole protégée de «désinformation», de «mésinformation» et d'autres termes mal définis.
La liberté d'expression est notre meilleure défense contre la désinformation.
L’usage abusif de ces termes a mené à exercer la censure sur des citoyens ordinaires, des journalistes et des dissidents dans le monde entier.
Une telle ingérence dans le droit à la liberté d’expression supprime toute discussion valable sur les questions urgentes d’intérêt public, et porte atteinte aux principes fondamentaux de la démocratie représentative.
Partout dans le monde, les dirigeants gouvernementaux, les sociétés de médias sociaux, les universités et les ONG s’emploient ou s’investissent de plus en plus à surveiller les citoyens et à les priver de leur voix. Ces actions coordonnées à grande échelle sont parfois dénommées le «Complexe Industriel de la Censure».
Ce complexe manœuvre souvent au moyen de politiques gouvernementales directes. Les autorités indiennes et turques se sont emparées du pouvoir de supprimer les contenus politiques des réseaux sociaux. Le corps législatif allemand et la Cour Suprême du Brésil criminalisent le discours politique.
Dans d'autres pays, des mesures telles que le projet de loi irlandais sur le «discours de haine», le projet de loi écossais sur les crimes haineux, le projet de loi britannique sur la sécurité en ligne et le projet de loi australien sur la «mésinformation» menacent de restreindre sévèrement le droit à s’exprimer et ainsi de créer un effet dissuasif.
Mais le complexe industriel de la censure opère selon des méthodes plus subtiles, qui incluent le filtrage de visibilité, l’étiquetage et la manipulation des résultats des moteurs de recherche.
Ce n’est que grâce à la liberté d’expression que nous pouvons dénoncer les violations de nos droits et lutter pour de nouvelles libertés.
En boycottant et en signalant, les censeurs des médias sociaux ont déjà réduit au silence les opinions légitimes sur des sujets d’importance nationale et géopolitique. Ils l'ont fait avec le plein soutien des «experts en désinformation» et des «vérificateurs de faits» des grands médias, qui ont abandonné les valeurs journalistiques du débat et de l'enquête intellectuelle.
Tout comme les fichiers Twitter l'ont révélé, les entreprises technologiques procèdent souvent à une «modération de contenu» liée à la censure en coordination avec les agences gouvernementales et la société civile.
Bientôt, le règlement européen sur les services numériques (DSA) rendra officielle cette relation en donnant les données des plateformes à des «chercheurs agréés» issus d'ONG et du monde universitaire, laissant ainsi nos droits d'expression à la discrétion de ces organismes non élus et manquant de mécanismes de responsabilisation.
Certains hommes politiques et ONGs visent même à cibler les applications de messagerie cryptées de bout en bout comme WhatsApp, Signal et Telegram. Si le cryptage de bout en bout disparaît, nous n’aurons plus aucune possibilité de véritables conversations privées dans la sphère numérique.
Bien que la désinformation entre États soit un réel problème, les agences conçues pour lutter contre ces menaces, comme la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency aux États-Unis, se retournent de plus en plus vers elles-mêmes et contre les citoyens. Sous le prétexte de prévenir le préjudice et de protéger la vérité, la parole est traitée comme une activité autorisée plutôt que comme un droit inaliénable.
La censure nous prive de la richesse de la vie elle-même.
Nous sommes conscients que les mots peuvent parfois être offensifs, mais nous rejetons l’idée selon laquelle les sentiments blessés et l’inconfort, même graves, justifient la censure. Le discours ouvert est le pilier central d’une société libre, et est essentiel pour tenir les gouvernements pour responsables, pour favoriser l'autonomie des groupes vulnérables et réduire le risque de tyrannie.
La protection de la parole ne concerne pas uniquement les points de vue avec lesquels nous sommes d’accord ; nous devons protéger avec vigueur la parole des opinions auxquelles nous nous opposons le plus fermement. Ce n’est que sur la place publique que ces opinions peuvent être entendues et véritablement contestées.
Qui plus est, à maintes reprises, des opinions et des idées impopulaires finissent par devenir des idées reçues. En qualifiant certaines positions politiques ou scientifiques de «mésinformation», nos sociétés risquent de s'enliser dans de faux paradigmes qui priveraient l'humanité de connaissances durement acquises et anéantiraient la possibilité d'acquérir de nouvelles connaissances.
La liberté d'expression est notre meilleure défense contre la désinformation.
L’attaque contre la parole n’est pas seulement une question de règles et de réglementations déformées : c’est la crise de l’humanité elle-même. Chaque campagne pour l’égalité et la justice dans l’histoire s’est fondée sur un forum ouvert pour exprimer la dissidence.
Dans d’innombrables exemples, comme notamment l’abolition de l’esclavage et le mouvement pour les droits civiques, le progrès social a dépendu de la liberté d’expression.
Nous ne voulons pas que nos enfants grandissent dans un monde où ils vivraient dans la peur d’exprimer leur pensée. Nous voulons qu’ils grandissent dans un monde où leurs idées puissent être exprimées, explorées et débattues ouvertement – un monde que les fondateurs de nos démocraties envisageaient lorsqu’ils ont inscrit la liberté d’expression dans nos lois et nos constitutions.
Le premier amendement des États-Unis est un exemple solide de la manière dont le droit à la liberté d’expression, de presse et de conscience peut être fermement protégé par la loi. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec les États-Unis sur chaque question pour reconnaître qu’il s’agit d’une «première liberté» vitale dont découlent toutes les autres libertés.
Ce n’est que grâce à la liberté d’expression que nous pouvons dénoncer les violations de nos droits et lutter pour de nouvelles libertés.
Il existe également une protection internationale claire et solide de la liberté d’expression. La Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) a été rédigée en 1948 en réponse aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'article 19 de la DUDH énonce: «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.»
Comme indiqué clairement dans l’article 19, le corollaire du droit à la liberté d’expression est le droit à l’information. Dans une démocratie, personne n’a le monopole de ce qui est considéré comme la vérité. La vérité doit plutôt être découverte à travers le dialogue et le débat – et nous ne pouvons pas découvrir la vérité sans admettre la possibilité d’erreurs.
La censure au nom de la «protection de la démocratie» inverse ce qui devrait être un système de représentation ascendant en un système de contrôle idéologique descendant. Cette censure est finalement contre-productive: elle sème la méfiance, encourage la radicalisation et le processus démocratique perd sa légitimité.
Au cours de l’histoire de l’humanité, les attaques contre la liberté d’expression ont été précurseurs des attaques contre toutes les autres libertés. Les régimes qui ont érodé la liberté d’expression ont toujours inévitablement affaibli et endommagé d’autres structures démocratiques fondamentales.
De la même manière, les élites qui poussent aujourd’hui à la censure sapent également la démocratie. Ce qui a changé cependant, ce sont les outils technologiques et à grande échelle grâce auxquels la censure peut être mise en œuvre.
Nous pensons que la liberté d’expression est essentielle pour garantir notre protection contre les abus de pouvoir de l’État – abus qui ont historiquement constitué une menace bien plus grande que les paroles d’individus isolés ou même de groupes organisés.
Dans l’intérêt du bien-être et de l’épanouissement de l’humanité, nous lançons les 3 appels à l’action suivants:
Nous faisons appel aux gouvernements et aux organisations internationales à assumer leurs responsabilités envers les peuples et à respecter l’article 19 de la DUDH.
Nous faisons appel aux entreprises technologiques à s’engager à protéger la place publique numérique telle que l’indique l’article 19 de la DUDH, et qu’elles s'abstiennent de toute censure politique, de la censure des voix dissidentes et de la censure de l’opinion politique.
Enfin, nous faisons appel au grand public à nous rejoindre dans la lutte pour préserver les droits démocratiques des citoyens. Les changements législatifs ne suffisent pas. Nous devons également créer dès le départ un climat de liberté d’expression en rejetant le climat d’intolérance qui encourage l’autocensure, et qui crée des conflits personnels inutiles pour beaucoup. Au lieu de la peur et du dogmatisme, nous devons adopter l’enquête et le débat.
Nous défendons votre droit de poser des questions. Des débats passionnés, même ceux qui peuvent causer de la détresse, valent bien mieux que pas de débat du tout.
La censure nous prive de la richesse de la vie elle-même. La liberté d'expression est le fondement de la création d'une vie pleine de sens et d'une humanité épanouie – à travers l'art, la poésie, le théâtre, l'histoire, la philosophie, la chanson et bien plus encore.
Cette déclaration est le résultat d’une première réunion de défenseurs de la liberté d’expression du monde entier, réunis à Westminster, Londres, en fin de juin 2023. En tant que signataires de cette déclaration, nous avons des désaccords politiques et idéologiques fondamentaux.
Cependant, ce n’est qu’en nous unissant que nous parviendrons à faire disparaître la censure qui envahit nos vies, dans le but de pouvoir conserver notre capacité de débattre ouvertement, et à nous défier les uns les autres. C'est dans cet esprit de différence et de débat que nous signons la Déclaration de Westminster.