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21 avril 2024

Radu Portocala

Confessions sur l’écrit (II)

« Phœnix » – tel était le nom de la revue qu’éditait mon lycée – me prit comme collaborateur permanent, ce qui explique un appel que je reçus après la parution du deuxième ou troisième numéro. Le père d’un de mes amis, homme influent politiquement et avec beaucoup de relations dans le monde culturel, me félicitait et voulait savoir si j’avais pensé à la publication d’une plaquette. J’ai toujours aimé ce mot qui ne s’emploie plus de nos jours ; un livre de poésie ne peut, à mon goût, être que fin.
C’était, lui ai-je répondu, une chose à laquelle, bien entendu, je rêvais depuis un moment. Il me promit, donc, d’organiser une rencontre avec le poète Ion Banuta (Bănuţă en roumain) qui dirigeait la seule maison d’édition de Bucarest qui, à l’époque, publiait de la littérature. Quelques jours plus tard, il me communiquait la date qui avait été fixée. Dans un état d’exaltation absolue, je fis de nouveau marcher la machine à écrire Erika et préparai le dossier que j’allais présenter.
Cependant, la veille du jour tant espéré, Banuta fut licencié. Il venait de faire paraître une anthologie de poésie surréaliste roumaine dans laquelle, subrepticement, sans en avoir reçu l’autorisation, il avait inséré plusieurs vieilles productions de deux écrivains honnis par le régime pour leurs options politiques d’avant-guerre. Ainsi, mon aventure éditoriale prenait fin avant même d’avoir commencé.
Quelques mois plus tard, grâce à des amis qui tenaient une sorte de salon littéraire, je fis la connaissance de Dinu Pillat, écrivain distingué qui sortait de prison, où il avait passé plusieurs années, condamné en 1958 dans le cadre du « procès Cioran-Noica ». (Cioran n’a pas besoin d’être présenté ici ; ses écrits, interdits en Roumanie, avaient été distribués dans un cercle restreint par l’un de ses vieux amis, le philosophe Dinu Noica, ce qui avait donné lieu à plusieurs dizaines de lourdes condamnations.) Pillat proposa de me présenter à Vladimir Streinu, critique littéraire unanimement respecté, qui venait, lui aussi, de sortir de prison après une longue détention.
La rencontre, par sa solennité, me fit penser à une sorte de messe. Assis dans un lourd fauteuil sculpté, entouré de quelques-uns de ses fidèles qui se tenaient debout, Streinu, bel homme de haute taille et d’une rare distinction, lut me poésies en silence. Soudain, il revint en arrière, relut et, s’adressant à l’assistance, dit : « Écoutez ! » Et il se mit à lire à voix haute, lentement, reprenant certains mots. Plus tard, Dinu Pillat allait me dire : « Je ne l’ai jamais vu faire ça. »
« Il faut vous faire publier ! » décida finalement Vladimir Streinu. Et prenant un papier, que j’ai encore, jauni et fatigué, il écrivit : « Je recommande ce manuscrit, de manière particulièrement chaleureuse, au camarade confrère (sic !) Virgil Teodorescu. » Ancien poète surréaliste, devenu adepte obéissant du proletcultisme, Virgil Teodorescu dirigeait la maison d’édition d’où avait été évincé Ion Banuta. Mais ce que nous ignorions tous au moment où le mot d’introduction était rédigé, c’est que, quelques jours plus tôt, il avait été muté à la tête d’une maison d’édition qui ne publiait que des traductions de littérature étrangère. J’allais le découvrir dès le lendemain.
Je devais continuer à me contenter de l’accueil que me faisait « Phœnix », puisque j’étais encore élève.

LA FARCE LA PLUS RUINEUSE DE L'HISTOIRE DU MONDE

Gabriel Nerciat

21/4/2024 - 61 milliards de dollars. Rien moins.
Qui se rajoutent aux 68 milliards des deux premiers plans d'aide votés en 2022 et 2023. Plus quelques 35 milliards dévolus à Israël et à Taïwan, ces lointains protectorats à l'avenir de plus en plus incertain.
Voilà ce que vont coûter au contribuable yankee la trahison du gnome ex-trumpiste qui préside la Chambre des représentants de Washington et celle des derniers néo-cons du Grand Old Party, ces cancrelats déjà aussi fossilisés que le sénile président-marionnette de la Maison Blanche.
Quand on connaît, même de loin, la réalité sordide, digne des pires pays du Tiers-Monde, qui est celle de plusieurs centaines de villes et de comtés américains, dans le Middle-West, les montagnes du Montana, le vieux Sud profond ou les terres déshéritées de la région des Grands Lacs, on se dit qu'un certain nombre d'électeurs du pays de Lincoln et de Monroe vont avoir du mal à rester immobiles sur une chaise pendant pas mal de temps.
Bien sûr, chacun sait qu'une grande partie de ce fric sans aucune couverture or n'est que de la fausse monnaie qui vise moins à combler la banqueroute et la défaite programmées de l'entité mafieuse de Kiev qu'à galvaniser le cours des actions de Lockheed Martin ou de RTX.
Mais c'est peut-être surtout la gabegie de trop. Celle consommée par les élites de plus en plus démentes et irresponsables d'un empire en déclin, qui a cumulé plus de dettes et de déficits commerciaux que la plupart des nations les plus dispendieuses du monde.
Celle, espérons-le aussi, qui alimentera la colère nécessaire pour offrir à Trump un second mandat dans quelques mois.

Le 9 juin… votons

Gilles La Carbona


21/4/2024 - Une forte abstention est attendue pour les prochaines élections européennes du 9 juin. L’enjeu ne semblerait pas passionner les foules, à moins que ce ne soit la lassitude d’une offre finalement semblable et désolante. On croit changer et les mêmes politiques n’en finissent pas de nous entraîner dans le malheur. L’abstentionniste marquerait ainsi son désaccord et son rejet de ce qu’il nomme communément la mascarade, ou le semblant de choix. Attrayant programme mais où est sa pertinence réelle ? Quand l’un tente de modifier par son vote la trajectoire du destin, l’autre assis sur sa chaise attend que tout se fasse tout seul. La main de l’un contre l’adversité face à celle d’un Dieu invisible qui veillerait sur les intérêts des boudeurs d’urnes ? Rappelons tout de même que le 9 juin va se jouer la survie des États Nations. Les abstentionnistes sont-ils d’accord avec la dilution des États, l’effacement de plus de 2000 ans d’histoire au profit d’un État Europe ? Est-ce vraiment là ce qu’ils entendent laisser faire sans broncher, sans tenter de casser la majorité PPE qui risque de nous imposer un Mario Draghi, dont les intentions sur ce sujet ne sont plus dissimulées.

Si la majorité européiste fédéraliste n’est pas battue, après les élections est prévue une grande réunion pour acter la fin des Nations et le transfert total des souverainetés, du moins de ce qu’il en reste à l’Europe. Ceux qui refusent de voter au prétexte que cette élection ne les concerne pas, considérant que seuls les scrutins nationaux sont importants, pourraient se réveiller avec la gueule de bois. En effet, si le projet parvient à son terme, il n’y aura plus d’élections, si ce n’est pour désigner les maires. À quoi aura servi leur fronde ? L’Europe c’est loin, une nébuleuse presque invisible et pourtant terriblement présente dans nos quotidiens par les normes, obligations et contraintes qu’elle impose. L’importance de cette machine infernale n’est toujours pas perçue à la hauteur de sa nocivité. Il est inutile de hurler dans la rue contre l’immigration, la réforme du Code du travail, le prix de l’énergie ou tout autre sujet, car tout se décide à Bruxelles.

C’est le point à contrôler pour changer les choses, à défaut de partir définitivement de cette organisation, option qui pour le moment reste taboue parmi les formations données gagnantes. Les Français s’apprêtent donc à bouder le scrutin sans doute le plus déterminant pour la suite de notre avenir. Les abstentionnistes seront-ils épargnés par les mesures qui seront prises, nous l’avons déjà dit : non ! Ce serait trop beau, l’abstention n’est pas une bulle qui isole son représentant du reste de la communauté. Prétendre qu’on s’en sortira nationalement est pour l’heure une chimère, un fantasme qui ignore la supériorité juridique des lois de l’UE qui s’imposent à tous. Les gouvernements ne maîtrisent quasiment plus rien, et cette tendance est exacerbée si la majorité du Parlement européen est hostile, comme en ce moment, aux peuples. Les conséquences sur nos libertés, notre sécurité seront pires que ce que nous connaissons déjà.

Ne pas voter le 9 juin c’est donc laisser partir le dernier pan de liberté et de souveraineté qui est en notre possession. Battre les européistes est essentiel, croire que rester chez nous suffira à modifier quoi que ce soit est un fantasme répandu sur les réseaux, dont on peut trouver l’origine dans les jeux vidéos, ou plus certainement dans l’idéalisme contenu dans l’image que l’on se fait des révolutions passées, où la foule, aidée d’une partie des forces de l’ordre de l’époque, parvenait dans un élan de bravoure à changer de régime. Régulièrement nous lisons que tout va exploser parce que les Français à bout se préparent à tout renverser et qu’ainsi les élections seront annulées. Sauf qu’il n’en est rien et que les récentes « révoltes » des paysans, ou plus anciennes des Gilets jaunes, nous ont prouvé l’isolement de ceux qui osaient dire non. Il n’y a pas eu de levée en masse, on peut le regretter, mais le constat est factuel. La révolte qui sommeille est sans doute largement surestimée. Fuir les urnes n’est ni une victoire ni un défi au système, tout simplement parce que tout est fait pour qu’il l’ignore. Il ne reconnaît que ceux qui s’expriment. C’est indécent, énervant, oui, mais c’est ainsi. Les voix qui ne se prononcent pas n’existent pas. C’est vrai, mais la seule volonté qu’une démocratie prend en compte est celle qui est clairement désignée sur un bulletin de vote. Quand bien même personne n’irait voter, ce qui est pure utopie, un peu à l’image de la grève générale, le fameux système trouverait la parade en se passant de nos voix. L’abstentionniste n’est pas un avant-gardiste porteur d’une modernité, dont il serait le seul à comprendre les effets. Ce serait plus un résigné qui accepte que le choix des autres s’impose à lui sans qu’il donne son avis.

Il se réfugie dans la condamnation d’un procédé qu’il entend gripper par son désengagement, mais qui en fin de compte continue à le broyer sans lui. Le votant est un imbécile manipulé, tandis que lui est éclairé et libre… surtout de suivre ce que les autres auront décidé, ou de se mettre hors la loi et là encore d’en subir les conséquences. L’anticonformisme a ses limites. Il aura fallu des combats pour obtenir le droit de vote et simplement de la lassitude et du désintérêt pour se l’auto-confisquer, quel chemin. Voter est la pire des imperfections, mais ne pas en avoir la possibilité, ou la refuser est une plaie bien plus grande. Tous ceux qui se plaignent de cette Europe, de Macron, ont l’opportunité le 9 juin de manifester leur mécontentement et d’envoyer un signal qui résonnera plus longtemps et traversera les frontières bien mieux que les images d’un défilé embué de gaz lacrymogène. C’est le moment rêvé pour renvoyer cette clique nauséeuse à ses études, ne boudons pas ce plaisir. Le 9 juin l’abstention même massive ne fera pas trembler le parlement, une majorité contraire à la bande à Davos si… Votons !

20 avril 2024

Michèle Venard

J'avais relevé ceci : "Pour celui qui aime écrire le français, je rappelle que le vocable « écrivain » est un mot dont le masculin et le féminin a la même orthographe. La maison du quai Conti a donné son avis sur la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres. Cette maison, fidèle à la mission que lui assignent ses statuts depuis 1635, fit publier une déclaration rappelant le rôle des genres grammaticaux en français. Les professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss auxquels la Compagnie avait confié la rédaction de ce texte, concluaient ainsi :
« En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et, favorisant la variété des constructions nominales par le jeu de l’accord des adjectifs ... Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. »
Je déplore les dommages que l’ignorance de cette règle inflige à la langue française et l’illusion selon laquelle une grammaire « féminisée » renforcerait la place réelle des femmes dans la société. Il est inutile, pour désigner un groupe de personnes composé d’hommes et de femmes, de répéter le même substantif ou le même pronom au féminin puis au masculin. « Les électrices et les électeurs », « les informaticiennes et les informaticiens », « toutes celles et tous ceux » sont des tours qui ne disent rien de plus que « les électeurs », « les informaticiens », « tous ceux ». On évitera également d’indiquer entre parenthèses ou après une barre oblique la marque du féminin : « les adhérent(e)s », « les animateurs/trices », etc. De même au singulier, lorsque le masculin revêt un sens générique, de telles surcharges (« recrutement d’un/une technicien(ne) diplômé(e) », etc.) n’apportent aucune information supplémentaire et gênent considérablement la lecture. Au surplus, elles s’opposent à la règle, très générale en français, de l’accord du pluriel au masculin. Il est impossible d’écrire : « Le fauteuil et la table sont blanc(he)s. »
Il convient de rappeler que les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure...) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or. Aussi faut-il éviter absolument des néologismes tels que "professeure", "ingénieure", "auteure", "docteure", "proviseure", "procureure", "rapporteure", "réviseure", etc. Certaines formes, parfois rencontrées, sont d’autant plus absurdes que les féminins réguliers correspondants sont parfaitement attestés. Ainsi "chercheure" à la place de "chercheuse", "instituteure" à la place d' "institutrice". On se gardera de même d’user de néologismes comme "agente", "cheffe", "maîtresse de conférences", "écrivaine", "autrice"... L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales.
Déclaration de l'Académie Française du 13 octobre 2014, sur "La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres" - Mise au point de l’Académie française visible sur la toile.
Denis Collin

Extrait de "La longueur de la chaîne" (Max Milo, 2011)
Pas un citoyen conscient ne devrait accepter de faire confiance aux gouvernants pour qu’ils n’abusent pas de leur pouvoir. Tout vrai libéral, lecteur de Montesquieu sait que le pouvoir porte en lui-même l’abus de pouvoir et, en philosophie politique, il faut toujours commencer par raisonner sur les situations limites. Machiavel, le véritable fondateur de la pensée politique moderne, affirme que quiconque veut établir une constitution politique doit supposer « par avance que tous les hommes sont méchants et qu’ils sont prêts à mettre en œuvre leur méchanceté toutes les fois qu’ils en ont l’occasion » ou encore, qu’ils sont « ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, lâches devant les dangers, avides de profits ». Même si les optimistes peuvent penser que les affirmations de Machiavel ne sont pas vraies pour tous les hommes, il est à peu près certain – ce n’est pas là trahir l’esprit du très pénétrant florentin – qu’elles sont absolument exactes pour les dirigeants, pour ceux que Machiavel appelle les « grands », qu’il définit d’ailleurs très simplement comme ceux qui gouvernent ou qui veulent gouverner et dont l’impulsion fondamentale est de vouloir tyranniser le peuple. Plus que jamais, nous devons nous pénétrer des leçons de Machiavel, en les complétant par les leçons de l’histoire du dernier siècle : fondamentalement nos élites dirigeantes aspirent à quelque chose dont ne pouvaient même pas rêver les « grands » que connaissait Machiavel : la domination totale.

Radu Portocala

Confessions sur l’écrit (I)

Il y a exactement cinquante-cinq ans, en juillet 1965, par un après-midi qui ne s’annonçait en rien différent des autres, j’ai soudain senti plutôt que je ne l’aie entendue une voix cachée en moi qui me dictait une poésie. Secrètement, avec un vague sentiment de gêne, je l’ai confiée au premier bout de papier que j’ai trouvé et l’ai dissimulée parmi mes affaires de classe.
À mon grand étonnement, d’autres sont venues s’y ajouter. Je les copiai patiemment dans un grand cahier aux couvertures grises, incapable de savoir ce que je devais en faire.
Vint ensuite, à l’école, une composition libre qui nous était demandée par la professeur de roumain. C’était en hiver. J’avais fait, avec mon père, une promenade dans la forêt qui bordait Bucarest vers le Nord. Enfermé dans la cuisine, j’ai écrit ce que j’avais vu.
Le lendemain, on me fit lire à haute voix mon texte. J’étais terrorisé, mes mains tremblaient, j’articulais avec peine. Mais je notai, tout de même, qu’un grand silence était descendu dans la classe et que deux filles – je me rappelle encore le nom de l’une d’entre elles – avaient commencé à pleurer.
Ma composition fit, par la suite, le tour de la classe. Mes camarades l’amenaient à la maison pour la montrer à leurs parents, qui appelaient les miens les félicitant chaleureusement.
Quelques mots seulement de ce texte sont restés dans ma mémoire. (Ma mère a dû le conserver, et il se trouve probablement dans les papiers que j’ai récupérés après sa mort. Mais je pense qu’il vaut mieux ne pas le relire.) Je me souviens, en revanche, du plaisir que j’ai eu à l’écrire. Et je constate qu’après toutes ces années, ce plaisir est toujours là, chaque fois que j’enchaîne des mots. J’aime penser à l’écriture comme au travail solitaire d’un artisan dans son vieil atelier.
L’expérience qu’a été la lecture de cette composition m’obligea à avouer que j’écrivais déjà depuis quelque temps. La vieille machine à écrire Erika – sur laquelle mon père avait tapé, en 1944, le texte d’un accord politique majeur entre le roi Michel et les partis qui souhaitaient la fin de la guerre – me servit à copier le contenu du cahier gris.
Très peu de temps après, mon lycée commença à éditer une petite revue littéraire à usage interne. On me demanda d’y publier quelques poésies. Ce fut mon début – en réalité, le premier d’une assez logue série de débuts, qui semble ne pas s’être encore arrêtée. Cela rajeunit, certes, mais c’est plutôt déconcertant. Je me dis parfois que la mort sera mon dernier début, et le seul vrai.

19 avril 2024

Gilles Casanova

19/4/2024 - Non, vous ne rêvez pas, c'est bien l'Allemagne, qui a créé et enfermé les victimes dans ces camps de la mort qui interdit à la Russie qui les a libérés de participer à la cérémonie qui commémore leur libération !

Jeux Olympiques 2024 : de bien belles perspectives !

H16

19/4/2024 - À moins de 100 jours des prochains Jeux Olympiques à Paris, on sent nettement l’excitation et la joie s’emparer de tout le pays. La capitale et ses habitants se réjouissent très manifestement des festivités et jamais le mot “épreuves olympiques” n’aura trouvé une aussi belle résonance avec ce que traversent actuellement les Parisiens qui goûtent maintenant chaque minute d’anticipation de ces futurs grands moments.


Futurs grands moments qu’il faut minutieusement préparer et qui ont déjà été l’occasion, notamment pour la maire de Paris, d’aller visiter les lieux des différentes épreuves dans lesquels on trouve – assez commodément – Papeete, cette petite localité qui jouxte Paris et qui accueillera notamment les épreuves de surf.

Moyennant un petit déplacement en avion (cela jouxte à 15.000 kilomètres près) dont la compensation carbone n’a pas été évoquée – mais dont on peut être sûr qu’elle a été réalisée tant Anne Hidalgo est forcément éco-consciente – et une petite facture pour le contribuable parisien de l’ordre de 60.000 euros, les installations ont pu être vérif…ah non, finalement, le voyage déclenchant des démangeaisons pour l’opposition, les contribuables parisiens, une partie de la presse et pas mal de Français en général, la maire n’aura pas poussé jusqu’au site de l’épreuve de surf.

Tout ceci nous amènera quelques mois plus tard à une petite enquête et des perquisitions pour ramasser les éléments de preuve d’une éventuelle prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics (oh, ça alors) dont on ne doute pas qu’elles permettront de totalement laver l’honneur de l’équipe municipale.

La préparation ne s’arrête pas là puisque, rappelons-le, elle comporte aussi le déménagement furtif des encombrants étudiants qui prennent le pain le logement des athlètes : les expulsions ont commencé. Ouf, la place est libérée, les sportifs sont soulagés, l’Olympisme respire.

De même, la déportation le déplacement discret des centaines de migrants et autres vagabonds en dehors de la ville et leur relocalisation, toujours aux frais du contribuable, un peu partout dans le reste du pays, se passe plutôt bien même si certains maires (celui d’Orléans par exemple) s’en offusquent de façon un peu verte. Ouf, la place est nettoyée, les organisateurs se détendent, l’Olympisme retrouve le sourire.


Mais que serait cette belle cérémonie sans une belle organisation et surtout une solide sécurité garantissant à tous de profiter d’un spectacle à nul autre pareil ?

Et justement, en la matière, on sait déjà que tout sera mis en oeuvre pour obtenir un niveau de sécurisation des individus. Comme jamais auparavant… ou presque, puisqu’on va finalement remettre en place ce qui fut une véritable réussite en 2021 et 2022, à savoir affubler les Parisiens et les spectateurs d’un solide petit QR code lors de leurs déplacements (l’auto-attestation ne devrait plus tarder, maintenant).


On se réjouit déjà de savoir qu’une plateforme internet sera bientôt disponible, qui laissera à tous les Parisiens concernés l’opportunité de saisir tout un tas de petites informations pertinentes sur leurs allées et venues, et on souhaite un courage olympique à tous nos seniors dont la maîtrise des outils numériques est largement suffisante pour garantir que ces petits QR codes seront correctement distribués.

Et franchement, qui ne se réjouit pas déjà d’un retour des contrôles et des patrouilles policières dans une partie de la capitale ? Voilà qui permettra d’assurer la légendaire sécurité des rues parisiennes au moins pendant la période des jeux. Les habitants concernés vont a-do-rer !


Enfin, toutes ces considérations ne seraient pas complètes sans mentionner que tout ceci se déroulera avec une maîtrise presque totale des coûts et des dépenses.

En effet, lorsqu’on lit l’article consacré aux coûts de ces Jeux Olympiques, il apparaît que le calcul du total est particulièrement pointu : entre le budget initial, le budget courant, les dépassements, les cautions de l’État, les différents postes de dépenses et de recettes, on est tout à fait rassuré sur ce qui sera inévitablement du ressort final du contribuable.

Mais si.

Il apparaît cependant que le total devrait osciller autour de 11 milliards d’euros selon différentes estimations, dont 3, 4 ou 5 milliards resteraient à la charge des moutontribuables pardon de l’État selon Moscovici, l’actuel président de la Cour des Comptes, le tout pour un budget initial de 3,8 milliards d’euros, déjà supérieur au 3,2 milliards du dossier de candidature. On ne pourra qu’admirer la précision véritablement diabolique de ces chiffres et de l’organe officiel chargé des Comptes : pour un total à 11 milliards, cela nous fait 7 milliards de petits dépassements dodus, et de 3 à 5 milliards d’euros d’argent public, ça nous fait une enveloppe qui varie allègrement de plus de 60% sur des dépassements de plus de 100%. C’est coquet.

Rassurez-vous cependant : les équipes de propag journalistiques sont déjà sur le pont pour bien nous rappeler que même avec une facture de 11 milliards d’euros (que la Nation Française tout entière peut très bien se permettre en ces temps de croissance et d’opulence macronienne), ces jeux seront probablement parmi les moins coûteux de l’histoire récente.

Mais si.

En fait, on se demande même, devant ces chiffres si modestes, pourquoi on mégote tant, à tel point même que la région Île-De-France a par exemple refusé de prendre à sa charge les déplacements de 200.000 accrédités (athlètes, officiels, journalistes…) alors qu’elle avait été courtoisement sollicitée par le comité officiel des Jeux et que ce budget ne représente qu’un peu moins de 10 petits millions d’euros.

Il n’y a pas à dire, cet événement fleure bon la précision millimétrique et la maîtrise des coûts jusqu’au plus petit poste de dépense ! Voilà qui met dans les meilleures dispositions pour imaginer ce que pourrait donner l’organisation des épreuves elles-mêmes, de la cérémonie d’ouverture et celle de clôture, et qui laisse présager d’un niveau de qualité exceptionnel pour la sécurité et l’accompagnement des joueurs, des spectateurs et de l’ensemble des corps de métiers autour de cet événement. Les supporters anglais vont a-do-rer !

Pas de doute, cela va très très bien se passer. Tout va même être olympique, pour sûr.


https://h16free.com/2024/04/19/77292-jeux-olympiques-2024-de-bien-belles-perspectives

La barbarie douce

Natalia Routkevitch

Le sociologue Norbert Elias avait bien montré comment les sociétés européennes avaient connu, à partir du XVIIème siècle, ce qu’il appelait un processus de civilisation. Progressivement, les mœurs s’étaient pacifiés en vertu du développement de la civilité et de la courtoisie. Les individus avaient au fil du temps intégré et adopté des mécanismes d’auto-contrôle, et le recours à la violence ou les manifestations d’agressivité avaient été canalisés, puis proscrits des normes sociales dominantes.
Il a insisté également sur la modification de l’économie psychique des individus sous l’effet du refoulement des pulsions agressives du contrôle des affects, puis de l’apprentissage de la gestion des situations de frustration.
Dans « La France d’après », Jérôme Fourquet, après avoir rappelé ces thèses d’Elias, avance, de son côté, une hypothèse que cette couche de vernis civilisationnel qui avait été patiemment posée au fil des siècles s’est fissurée au cours des dernières décennies. Le sociologue lie ce phénomène psychologique et anthropologique à ce que l’on pourrait appeler la sacralisation absolue du moi qui a abouti à la modification de la psyché collective.
Au cours des dernières décennies, l’imprégnation profonde des valeurs du libéralisme culturel et sociétal dans le corps social y a secrété de nombreux anticorps et développé des réflexes immunitaires face à un positionnement de type « law and order » venant des autorités quelles qu’elles soient. D’autre part, l’objectif de l’éducation – familiale ou autre – consiste, depuis quelque temps, à stimuler l’épanouissement personnel, à laisser la nature s’exprimer le plus librement possible. Ce type d’éducation moins contraignante installe très tôt dans l’esprit des individus l’idée qu’ils sont uniques et qu’ils ont de nombreux droits, ce qui génère une moindre capacité psychologique à se conformer aux règles et aux interdits et à accepter les différents cadres d’autorités.
Dès le plus jeune âge, la subjectivité des individus s’exprime à plein régime sur les réseaux sociaux. Tout cela résulte en une moindre acceptation de la règle commune et de celui qui la fait appliquer. Les mécanismes de régulation éliassiens sont moins opérants, et les rapports humains sont aujourd’hui de plus en plus conflictuels, écrit Fourquet, de nombreux chiffres à l'appui. Ainsi, au cours de la décennie 2010-2019, les refus des automobilistes d’obtempérer ont augmenté de 49%, alors que la législation routière n’avait pas subi d’évolution substantielle.
Chacun trouvera une flopée d’exemples de comportements asociaux et/ou antisociaux plus ou moins inquiétants en passe de devenir la norme. Par exemple, l'habitude de diffuser ses vidéos à plein volume sans écouteurs est devenue si répandue dans les transports en commun et les espaces publics qu'elle ne suscite même plus de remarques de la part des autres usagers.
Un autre auteur qui s'est souvent penché sur le problème d'érosion des acquis civilisationnels, Régis Debray, a affirmé, lui aussi, en parlant la pacification des mœurs décrite par Norbert Elias, qu'elle repose en définitive sur le "renoncement à nos satisfactions infantiles, sur le sacrifice toujours laborieux de nos ardeurs, notamment sexuelles, sur l'inhibition répressive et disciplinée de nos pulsions par toutes sortes d'institutions civilisatrices - famille, école, métier, armée, Etat. Bref, sur la tension entre un Surmoi sévère et un Moi sans cesse à soumettre.
Ces expressions anachroniques, qu'on jugera fort réactionnaires, sont empruntées à un maître livre de 1929, écrit dans un style simple et direct, aujourd'hui passé sous silence par la plupart des psychanalystes, intitulé "Malaise dans la civilisation", poursuit Debray. Il serait urgent de le rééditer, même si on peut comprendre la relégation aux oubliettes de cette œuvre prophétique. Le vieux Freud y défend une thèse des plus incorrectes et intempestives : la recherche effrénée par les individus, dès leur plus jeune âge, du plaisir maximal ne peut que déboucher sur un ensauvagement général du vivre ensemble. Encore ce sombre pronostic datait-il d'avant l'omniprésente publicité appelant sur tous les trottoirs et écrans à la satisfaction sans tarder du moindre désir ; d'avant les mass media, avec les deux coïts et les trois meurtres par minute désormais exigés de la moindre série télévisée qui se respecte.
Qu'eût dit notre Père Fouettard, ce grand émancipateur qui connaissait le prix de l'émancipation ? Que la poursuite du "programme de civilisation" est rien moins qu'assurée. Pour le dire dans ses mots à lui : "la sublimation en culture intellectuelle, artistique et religieuse de nos pulsions libidinales impliquait son lot de souffrances individuelles, celles du refoulement."
En effet, dès la fin du XXème siècle, on ne parlera plus d’un "malaise ", mais, de plus en plus souvent, d’une profonde crise civilisationnelle, voire de la barbarie des sociétés modernes – de la barbarie qui est littéralement l’état de non-civilisation.
Des effets de déstabilisation, de déstructuration, d’angoisse et de stress nous font vivre dans ce que j’appelle une barbarie douce, écrivait Jean-Pierre Le Goff, selon lequel le discours ambiant sur la modernisation, l’émancipation et l'autonomie masque de moins en moins bien la dissolution culturelle, un climat d’insignifiance et la décomposition des repères qui structuraient antérieurement le vivre-ensemble et l’action collective.
Sous la modernité, la "barbarie douce".