Maxime Tandonnet
(pour Figaro Vox)
8/7/2024 - Echec : aucun autre mot ne saurait mieux caractériser la séquence de ces législatives de juin-juillet 2024. En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale le chef de l’État voulait « clarifier la situation » c’est-à-dire, se donner une majorité absolue. Le résultat est exactement inverse. Il a perdu la maigre majorité relative dont il disposait. Le parti présidentiel Renaissance en sort très affaibli. La gauche sous le label Nouveau Front Populaire (NFP) incluant la France Insoumise (LFI) est vainqueur du scrutin et obtient une petite majorité relative qui ne lui permet pas de réaliser son programme. Le RN se voit renforcé mais bien loin de triompher contrairement aux diverses prévisions. Bref, l’opération jupitérienne a tourné au fiasco débouchant sur le scénario du pire pour le chef de l’État. Elle se traduit par l’émergence d’une situation parlementaire encore plus chaotique et ingérable que la précédente.
« Quand un homme que l’on suppose intelligent et qui l’est prend une décision d’une absolue bêtise c’est que la dimension psychologique a pris le pas sur la réflexion et la raison […] cette dissolution est le résultat d’un narcissisme poussé à un état presque pathologique » écrit Alain Minc qui fut l’un des plus fidèles soutiens d’Emmanuel Macron. Certes, mais ce constat ne doit pas dispenser de s’interroger sur la responsabilité d’un système politique. Un régime entièrement fondé sur la sublimation d’un homme, une élection présidentielle sous influence, l’exubérance narcissique pour cacher l’impuissance et l’échec, dans un climat de béatitude courtisane, peut-il conduire à autre chose que la déconnexion ? Le président Macron a parié sur un élan populaire lui rendant une majorité absolue. Il semble n’avoir jamais pris la mesure de la profondeur de son impopularité.
Le résultat est désastreux. Jadis, sous les IIIe et IVe République, les mouvements politiques adverses siégeant à la chambre basse étaient liés par une éthique de reconnaissance mutuelle – tous issus du suffrage universel – permettant le dialogue et les compromis. Bien au contraire, aujourd’hui, dans cette Ve République dénaturée, les trois principales forces en présence se haïssent et s’excluent les unes des autres sur des bases névrotiques et braillardes qui écrasent le sens de l’intérêt général. Pour LFI, le RN représente le mal absolu – et réciproquement. Renaissance exclut de gouverner avec l’un comme avec l’autre. Aucune coopération n’est concevable. L’impasse est totale. La France politique est déchirée en trois et toujours plus ingouvernable.
Cette élection, marquée par une participation élevée de 67% aura-t-elle au moins la vertu de réconcilier les Français avec la politique ? Improbable, tant son déroulement a donné lieu à un festival de manipulations qui en fragilise la légitimité populaire. Bref, en deux semaines, on s’est beaucoup moqué des Français.
En toile de fond a régné le spectre obsessionnel d’une majorité absolue au RN et l’arrivée à Matignon d’un tout jeune homme de 28 ans inexpérimenté mais absolument libre une fois à Matignon d’appliquer un projet « d’extrême droite ». Or, compte tenu des réalités politiques et électorales d’une part, des aléas d’une cohabitation, des contraintes financières, juridiques et européennes d’autre part, un tel scénario, en toile de fond de tout le scrutin, relevait largement de la politique fiction. Cette perspective illusoire a dominé le vote du début jusqu’à la fin comme une vaste mystification.
Le matraquage « antifasciste », devenu un rituel obligé des entre-deux-tours en France, a dès lors fonctionné à plein régime. Une fois de plus, la France est entrée en hystérie. Le RN est soudain redevenu pour la circonstance, « le parti cofondé par des Waffen SS ». Des artistes ont signé des pétitions. Des hauts fonctionnaires et magistrats ont prôné la désobéissance et les syndicats ont annoncé un blocage, sur fond de chantage à la violence d’extrême gauche. Les haines ont déferlé sur la campagne, avec 51 candidats blessés. Et dans ce contexte apocalyptique, le système politico-médiatique a cru bon de promouvoir Kilian Mbappé en ultime autorité morale.
Un « front républicain » s’est donc reformé associant dans la même alliance M. Hollande avec des individus convoqués par la justice pour « apologie du terrorisme ». Renaissance a changé de cap entre les deux tours, acceptant de nouer des accords de désistement avec la gauche, dont LFI, jusqu’alors considéré comme l’autre « diable ». Après avoir honoré M. Bardella en le recevant à Matignon le 19 janvier et lui avoir fait cadeau d’un débat en tête-à-tête pendant les Européennes, M. Attal, reprenait le flambeau du « barrage contre l’extrême droite ». Un sommet de la magouille politicienne, fondé sur une mystification – le fascisme au pouvoir – semble avoir été atteint.
Tous les partis vont se dire gagnants. De fait, la manœuvre jupitérienne ne compte qu’un seul perdant : les Français de bonne foi, qui ont espéré de ce vote un changement mais retrouvent une sorte de statu quo en pire, une Assemblée ingouvernable et une politique française sombrant dans le chaos absolu. Combien ce psychodrame absurde de deux semaines, dont le seul effet sera d’aggraver l’impuissance publique aura-t-il coûté au pays, en termes de déchirements hystériques, de tension entre les Français, de radicalisation à droite comme à gauche, de violences, de peur et d’angoisses, d’espoirs déçus, de pertes pour l’économie française et de temps perdu ? La France entre dans l’inconnu, une période de trouble profond dont nul ne voit l’issue. Le drame puisse-t-il au moins entraîner une prise de conscience de ce que la France a besoin d’une authentique révolution démocratique et refondation de son modèle politique