Gabriel Nerciat
Ce "fait divers", comme on dit dans la presse assermentée, ce "petit fait vrai" aurait dit Stendhal, un écrivain courageux devrait en faire le motif d'une nouvelle (pas d'un film, ou même d'un court-métrage : aucun producteur ne se risquerait à le financer), car il dit tout de la tragédie française telle qu'elle se déroule et s'amplifie sous nos yeux depuis une trentaine ou une quarantaine d'années.
Même si je lui reconnais une indéniable efficacité pratique, je n'ai jamais repris à mon compte l'expression de Renaud Camus sur le Grand Remplacement, parce qu'aucun peuple, jamais (sauf en cas d'épidémie et encore), n'en remplace un autre par la force des choses (économique et démographique) ou même la volonté d'un gouvernement.
On sait d'ailleurs aujourd'hui que même les Néandertaliens n'ont pas été "remplacés" par les Sapiens.
Il n'y a pas de remplacement ; il y a seulement des luttes de territoires et des guerres de colonisation (qui peuvent prendre bien sûr des formes très variées, ne se limitant pas à celle, classique, de la conquête militaire, mais intégrant toujours un certain alliage de violence physique et d'effet de nombre).
Ce que l'immigration de masse extra-européenne fait subir à la France depuis la fin du siècle dernier s'apparente très exactement à ces deux réalités, et c'est ce qu'illustre dans une clarté aveuglante ce qui vient de se passer à Vénissieux (mais qui n'a rien de nouveau en soi : des épisodes de ce genre, il y en a plusieurs centaines tous les ans d'un bout à l'autre de la nation, et pas seulement désormais dans les banlieues des grandes métropoles cosmopolites).
Dans cette histoire, on notera surtout la réaction du propriétaire de la boulangerie (qui de surcroît se trouve être un élu local LR) : dans l'art de la capitulation sans condition et du zèle de contrition propre aux renégats (perceptible jusque dans son usage de l'orthographe et de la syntaxe), je le trouve absolument parfait, beaucoup plus répugnant finalement que les racailles allogènes auteurs de l'agression, lesquelles ne font jamais qu'appliquer la loi spinoziste du conatus.
C'est tout juste s'il n'a pas licencié sa vendeuse pour faute grave (et peut-être l'aurait-il fait, d'ailleurs, s'il n'avait pas vendu son établissement).
Evidemment, les boulangers, tout le monde s'en moque, même quand on n'est pas sociologue d'État. Un peu comme pour les professeurs sans tête ou les médecins avec pansements.
La question changera peut-être de tonalité ou de nature lorsque des revendications islamistes s'en prendront physiquement aux responsables des banques qui financent les boutiques ou les restaurants adeptes du porc, ou aux sponsors des enseignes jugées incompatibles avec l'orthopraxie frériste et/ou la conception arabo-musulmane de la pudeur.
Mais même là, il n'est pas certain que les réactions attendues verront le jour.
Comme ce digne militant LR, qui mériterait de beurrer tous les matins des tartines au petit déjeuner de Xavier Bertrand ou d'Aurélien Pradié, il suffira de se prémunir officiellement de toute tentation xénophobe ou illibérale, et de s'adapter, en partisan réaliste de l'économie de marché de moins en moins concurrentielle, aux nouvelles demandes de la clientèle.
On ne va quand même pas prendre les armes pour défendre le droit de manger des lardons, pas vrai ?
Le clerc décolonial, lui, conclura : "Ce que nos pères ont fait aux autres, il est juste et normal que les fils des autres nous le fassent aujourd'hui, car rien n'a vocation à durer en ce monde sinon les discontinuités saillantes qui régissent la vie des hommes en communauté."
Non, on n'est jamais remplacé.
On accepte seulement - par résignation, conformisme ou lâcheté - de devenir autre que ce que l'on était.
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