Juan Branco
27/8/2024 - Comment peut-on octroyer, à titre exceptionnel et sur instruction directe de l'Élysée, en 2021, un passeport français à un étranger du fait de services émérites rendus à la nation ;
Et, en 2024, faire poursuivre cette même personne pour ces mêmes faits et le menacer de vingt ans de prison ?
Entre 2021 et 2024, le protocole de Telegram n'a pas changé. Le comportement de ses équipes n'a pas changé. Sa coopération avec les autorités françaises n'a officiellement pas changé.
Nous sommes face à exactement les mêmes faits.
Le parquet, qui a demandé l'ouverture d'une information judiciaire contre Pavel Durov le lendemain des élections législatives, met en œuvre la politique pénale édictée par le gouvernement.
Nous avons donc un pouvoir exécutif qui, en 2021, a considéré que ce que faisait Pavel Durov avec Telegram rendait des services à la nation de telle façon que cela justifie que lui soit octroyée à titre exceptionnel la nationalité ;
Et dont le parquet, chargé d'exécuter sa politique pénale, décide en 2024 que ces mêmes faits sont de nature à lui faire encourir 20 ans de prison.
Cela pose des questions gravissimes en ce qui concerne notre rapport à l'État de droit.
Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui se joue, et qu'est-ce que l'Élysée a à cacher ? Å quoi joue la magistrature française, et pourquoi se laisse-t-elle, une énième fois, instrumentaliser ?
Il ne peut y avoir d'explications à ce qui se joue autres que politiques.
Emmanuel Macron, qui est peut-être le plus grand utilisateur de Telegram en France, fait passer ses communications confidentielles depuis 2014 au moins sur cette plateforme.
Il sait que les serveurs de Telegram ont accueilli les boucles non chiffrées que lui et ses conseillers ont créées, non seulement pour donner des instructions à des magistrats et des policiers hors hiérarchie sur les affaires les plus sensibles (concernant des opposants, des crises sociales majeures comme les Gilets jaunes, etc.) ; organiser leur mouvement politique, orchestrer les fuites à la presse d'informations couvertes par le secret ; mais également pour tout ce qui a trait à leur intimité.
Ce même Président qui a toujours refusé d'expliquer pourquoi il avait octroyé la nationalité à Pavel Durov s'est senti obligé de prendre la parole publiquement pour prétendre que ce qui se passait n'avait rien à voir avec la politique.
C'est ridicule, et c'est absurde.
D'autant que certaines des infractions pour lesquelles M. Durov est interrogé sont non seulement tombées en parfaites désuétudes, mais justifieraient, en ce qui concerne par exemple les infractions liées aux protocoles cryptographiques, de poursuivre tous les dirigeants de la Silicon Valley (Marck Zuckerberg, Elon Musk, etc.), qui ont implémenté des protocoles de chiffrement à leurs plateformes sans formaliser de demande préalable à l'État français.
La désignation d'un juge d'instruction dans la foulée des élections législatives, n'est pas la moindre aberration en ces circonstances.
Cette désignation d'un juge, censément doté de garanties d'indépendance, ne semble en fait avoir eu pour objectif que de tenter d'habiller la mariée et d'instrumentaliser un magistrat du siège pour légitimer cette démarche.
La situation présente des enjeux de libertés, de principe, de contrôle démocratique sur le pouvoir exécutif, et enfin d'indépendance du pouvoir judiciaire majeurs.
Nous sommes face à un potentiel scandale d'État, dont les conséquences sont incommensurables.
La sécurité de l'État a-t-elle été mise en danger, du fait du comportement d'Emmanuel Macron ? Des acteurs étrangers disposent-ils de moyens de pression sur l'Élysée, qui aurait cherché à se prémunir et répliquer ? La justice française serait-elle instrumentalisée pour y remédier ?
Le communiqué visiblement embarrassé d'Emmanuel Macron ne saurait suffire.
C'est de la sécurité de la France et des Français qu'il en va.
Il nous faut des explications. Sans délai.