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28 octobre 2024

Natalia Routkevitch

Chaque époque a ses fétiches. Les fétiches de la nôtre sont les droits de l'homme, la société civile, les minorités, l'Europe, l'État de droit et, bien sûr, la démocratie, disait Régis Debray.
On en trouve l'illustration quasiment dans chaque article sur l'actualité politique européenne. Dans ces publications censées nous informer, des combinaisons arbitraires de ces mots magiques - qui ont perdu leur sens originel et sont répétés comme des incantations rituelles - sont destinées à créer un certain fond émotionnel plutôt qu'à expliquer quoi que ce soit. Elles sont utilisées pour décrire pratiquement n'importe quel pays du continent, remplaçant ainsi la perspective historique, des analyses comparatives et d'autres informations ayant un rapport à la réalité.

27 octobre 2024

René Chiche

26/10/2024 - Il ne se passe plus un jour sans qu’on apprenne qu’un élève ici ou là ait giflé, frappé ou menacé l’un de ses professeurs. Une source bien informée m’a confié récemment que le nombre annuel de signalements (« faits établissement » dans le jargon de l’éducation nationale) dépassait les... trois millions. Chut ! Pas de vagues ! D’ailleurs à quoi bon feindre de s’indigner ? La société ne fait que récolter ce qu’elle a semé. Quand on s’est réjoui de transformer l’école en un « lieu de vie » dans lequel la transmission du savoir était devenue improbable, pour ne pas dire impossible, et quand on s’est employé à priver les élèves et leur famille de tout repère en leur présentant « la réussite » comme un dû, il ne faut pas s’étonner que le reste suive.
Jadis, dans l’emploi du temps d’un collégien ou d’un lycéen, il y avait les mathématiques, le français, l’histoire et la géographie, la physique, la chimie, telle ou telle langue vivante, la musique, le latin, le grec, la philosophie, chacune de ces disciplines (terme qu’il faut entendre en tous ses sens pour le comprendre parfaitement) étant dotée d’un horaire conséquent tant il va de soi que c’est une condition essentielle pour tout apprentissage.
Aujourd’hui, cet emploi du temps a non seulement été réduit comme peau de chagrin mais une grande partie des heures d’enseignement disciplinaire a été remplacée par des heures de rien au cours desquelles on prétend éduquer aux médias, aux valeurs de la République, à la vie affective et sexuelle, aux gestes pour préserver la planète et sauver les anémones de mer, à la lutte contre les stéréotypes de genre, de taille, de race et j’en passe, sans oublier les inénarrables heures de vie de classe, d’accompagnement personnalisé, d’aide à l’orientation. Oui, des heures de rien qui occupent sans instruire et n'élèvent que le niveau de la désinstruction nationale !
En moins d’un demi-siècle en effet, les gouvernements qui se sont succédés, de droite aussi bien que de gauche (bien que la gauche se soit particulièrement illustrée en la matière), sont parvenus à faire presque table rase de ce qui instruit tout en mettant « la réussite des élèves » au début de chacune de leur phrase. La seule chose qu’ils ont vraiment réussie, c’est d’avoir mis la plus belle institution de la République dans le plus déplorable état, ce qui ne les empêchera pas de proclamer leur admiration pour les professeurs devant le cercueil d’un Samuel Paty, d’un Dominique Bernard et de quelques autres. Ceux qui étaient à la tête de l’éducation nationale ont laissé l’institution se déliter, quand ils n’y ont pas œuvré eux-mêmes avec ardeur. Les leçons ont été remplacées par des activités, les estrades ont été mises à la déchetterie du coin, les tables dans les classes ont été disposées en « ilots » pour ne pas exposer les jeunes gens à une autorité supposée traumatisante, mais sans autre effet en réalité que celui de favoriser un bavardage permanent qui est presque partout devenu la norme, les chefs d’établissement, chefs de service et jusqu’aux recteurs ont cessé d’être des pairs (primus inter pares) pour devenir des « managers », et les professeurs qui osent encore enseigner leur discipline sans faire d’histoires se voient reprocher leur manque d’esprit d’équipe et sont mal notés par leur hiérarchie tandis que sont promus ceux qui savent se vendre à grand renfort de projets d’une vacuité à faire pleurer. Il en résulte que ceux qui sont passionnés par leur discipline trouvent de moins en moins leur place dans l’institution qui était pourtant faite pour eux - d’où soit dit en passant la baisse effrayante du nombre de candidats de valeur aux concours de recrutement de l’éducation nationale, et la baisse du niveau du recrutement qui en résulte mécaniquement, avec des conséquences forcément catastrophiques pour la nation tout entière à terme.
Si l’on veut reconstruire l’école, et il le faut, commençons par revaloriser sans attendre ce qui est parfois qualifié de « plus beau métier du monde » avec une totale hypocrisie. L’école ne repose que sur la qualité de son corps enseignant : recrutez d’excellents maîtres et fichez-leur la paix, le reste suivra ! On est bien capable de se battre pour sauver des espèces en voie de disparition dont personne n’a jamais entendu parler : va-t-on laisser les professeurs disparaître sans mot dire et accepter qu’ils soient remplacés par des animateurs ou de simples assistants de l’intelligence artificielle, comme on en prend le chemin ? Hait-on à ce point la jeunesse pour ne pas lui donner les meilleurs professeurs, et ce quoi qu’il en coûte ?
Marc Amblard

26 octobre 2024

Anne-Sophie Chazaud

Fabrice Moracchini :
La violente mélancolie de la classe populaire anglaise


Southport. Cette petite station balnéaire de la banlieue nord de Liverpool, en Grande-Bretagne, restera peut-être, dans la longue mémoire des meurtrissures et des révoltes fatales qui ont balayé l’histoire moderne de l’Occident, comme un nom aussi éloquent que Frankenhausen, Wassy, Bastille ou Gettysburg.

Car la fièvre spasmodique particulièrement violente qui durant l’été dernier a parcouru le Royaume-Uni à l’énoncé de ce nom, alors que la France sortait rageuse et abasourdie d’une élection législative anticipée aux conséquences paralysantes, était absolument tout sauf la suite d’un drame occasionnel aux causes aussi contingentes qu’on a voulu le faire croire dans les médias autorisés des deux rives de la Manche.

A la différence de la séquence insurrectionnelle des Gilets jaunes ou des émeutes qui ont suivi le décès du jeune délinquant Nahel Merzouk à Nanterre un an plus tôt, la réalité sauvage qui s’est emparée de villes et de provinces entières des nations européennes depuis plusieurs décennies cette fois n’a pas pu être dissimulée – ou miraculeusement métamorphosée en autre chose qu’elle-même.

Et c’est l’impossibilité de dissoudre ou de maquiller le réel qui est assez vite apparue comme l’émergence d’un second scandale loti à l’intérieur du premier. En moins d’une semaine, chacun, de Belfast à Plymouth, a compris qui était qui et qui cherchait à faire quoi ; dès lors la clarté des mobiles est venue renforcer ou démultiplier la violence des actes.

C’est donc très vite qu’un seuil de crise inédit a insensiblement commencé à être franchi : l’impuissance du pouvoir médiatique à contrôler ou formater les flux de l’information, non seulement au Royaume-Uni mais – via X – dans toute la sphère numérique anglophone, a autorisé sans le dire ou même en le disant le déferlement d’une répression d’État à laquelle les démocraties libérales, surtout dans la patrie de John Locke et de Lord Acton, n’étaient ni habituées ni préparées.

A peu près tout le monde aujourd’hui connaît les faits tragiques qui furent à l’origine de l’embrasement du royaume de Sa Gracieuse Majesté.

Le 29 juillet dernier, le fils encore mineur, né en Écosse, de deux immigrés rwandais installés en Grande-Bretagne depuis vingt ans, un certain Axel Muganwa Rudakubana, a perpétré un carnage soigneusement prémédité en poignardant avec un couteau de cuisine douze fillettes de six à douze ans et deux femmes adultes, qui participaient à un cours de danse et un atelier de fabrication de bracelets à l’effigie de Taylor Swift.

Deux des petites filles sont tuées sur le coup, une troisième décèdera quelques heures plus tard, tandis que les neuf autres sont hospitalisées en urgence dans un état critique. Seuls le courage physique et l’esprit d’initiative des animatrices du stage, restés vivaces malgré les blessures des jeunes femmes, ont empêché que plus de fillettes soient atteintes par le couteau du tueur, puisqu’elles sont parvenues à enfermer seize des enfants présents sur les lieux dans les toilettes du local.

C’est également le courage de plusieurs passants, dont un homme d’affaires et un laveur de carreaux, qui a permis la neutralisation relativement rapide de l’agresseur, avant l’arrivée de la police sur le site du carnage.

Le lendemain, alors que l’émotion est à son comble dans tout le Royaume-Uni et que la police ne communique pas officiellement sur l’identité et les motivations de l’assassin, un tweet qui attribue faussement la tuerie à un demandeur d’asile musulman surveillé par le MI5 se répand comme une traînée de poudre sur la Toile, avec plus d’un million et demi de vues. Même si la « fèque niouse » sera très rapidement démentie par les médias officiels, elle provoque un tsunami de réactions vengeresses et violentes qui vont très rapidement, mais graduellement, dégénérer en émeutes populaires réparties sur l’ensemble du royaume – y compris à Londres même, où pendant plusieurs heures des manifestants vont dangereusement essayer de s’approcher de la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street.

Comme on pouvait s’y attendre, l’essentiel de ces émeutes se concentre surtout dans les villes pauvres, grandes ou moyennes, qui ont subi depuis un demi-siècle les effets dévastateurs cumulés de la désindustrialisation (commencée dès les années 1980, sous Margaret Thatcher, bien avant la France ou la Belgique) et de l’immigration de masse extra-européenne (ou tout aussi bien, avant le Brexit, polonaise et balte) : Manchester, Liverpool, Birmingham, Belfast, Hartlepool, Rotherham, Nottingham, Bristol, Blackpool, Middlesbrough, Hull, Sunderland (où un commissariat de police sera presque entièrement détruit par un incendie).

Le mot d’ordre des émeutiers est extrêmement simple, et sans ambiguïté : « Nous voulons récupérer notre pays » (we want recover our country).

A Southport même, pendant la nuit qui suit le lendemain de l’attentat, la mosquée de la ville subit les assauts, à coups de briques, de plusieurs émeutiers ivres de colère, et les vitres d’une épicerie sri-lankaise sont brisées. Les dégâts sont limités et il n’y a heureusement pas de blessés, mais, dans le pays-phare du multiculturalisme où les communautés allogènes ont pignon sur rue et surtout bénéficient d’une visibilité institutionnelle que la loi de 1905 leur interdit encore plus ou moins en France, plusieurs autorités religieuses et communautaires musulmanes de la nation et de la région exigent publiquement, la plupart du temps sur les réseaux sociaux, la constitution de milices d’auto-défense en vue de protéger l’intégrité des minorités ethniques qui se jugent menacées (en Angleterre, on dit BAME, pour « Black Asian Minority Ethnics »).

En réalité, il s’agit moins d’auto-défense que d’un commencement de guerre civile communautaire à base ethnique et religieuse, puisque personne n’ignore qu’aux yeux de la plupart des chefs de milices, tous très bien connus des autorités et de la police, dont les troupes comme à Bristol montent au combat au cri de « Allah Akbar », c’est la volonté d’en découdre avec les émeutiers anti-migrants, quels que soient les motifs revendiqués, qui prévaut sur toute autre considération.

Il est vrai que dans les affrontements urbains à connotations identitaires ou ethniques, stratégies défensives et offensives sont souvent assez difficiles à départager (qu’on se souvienne de ce qui s’est passé en France, dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère, après le meurtre du jeune Thomas à Crépol, petit village rural du Dauphiné). Pour se défendre efficacement, il faut parfois aller frapper subrepticement l’ennemi de façon discrète, anticipée et discontinue.

En moins d’une semaine, donc, la situation s’est considérablement dégradée et envenimée dans plus d’une dizaines de villes significatives du pays, pour deux raisons qui auraient pu ou dû rester indépendantes l’une de l’autre : 1) le discours, au mieux dissimulateur au pire mensonger, des grands médias assermentés publics et privés du royaume, qui se focalisent sur la responsabilité de la fèque niouse initiale diffusée sur X – et donc aussi sur celle d’Elon Musk, le nouveau propriétaire de l’application numérique – puis attribuent sans aucune preuve probante l’organisation préméditée des émeutes à une figure célèbre de l’ultra-droite identitaire britannique, Tommy Robinson, le fondateur de l’English Defense League (lequel se trouvait pourtant en vacances à l’étranger à la fin du mois de juillet) ainsi qu’aux dirigeants du nouveau mouvement national-conservateur de Nigel Farage, Reform UK ; 2) la révélation, toujours sur le réseau social d’Elon Musk, de la complicité de plusieurs officiers de police avec les membres ou les chefs des milices islamiques : dans une vidéo qui sera authentifiée par le journal Telegraph et aura un immense retentissement sur le Net, on voit et entend un policier autoriser le transport et la dissimulation d’armes à feu à l’intérieur d’une mosquée.

A partir de ce moment-charnière, le 5 août dernier, le nouveau Premier ministre britannique, le travailliste Keir Starmer, qui vient juste d’arriver au pouvoir après quinze ans de majorités conservatrices, entre dans la danse au moyen d’un discours martial et télévisé, d’une brutalité dont les sujets de Charles III avaient perdu l’habitude depuis le départ de Margaret Thatcher en 1990.

Les temps ont changé : dorénavant, c’est à gauche qu’on prétend être de fer et se montrer implacable pour mater le peuple rebelle et le contraindre à quitter la rue.

Non seulement le chef du gouvernement viole implicitement la séparation des pouvoirs en ordonnant aux juges de punir de peines de prison ferme (jusqu’à trois ans d’incarcération) aussi bien les émeutiers coupables de violences physiques sur les biens et les personnes que les simples citoyens anonymes qui ont commis l’imprudence de soutenir les émeutes par des statuts diversement vindicatifs publiés sur les réseaux sociaux (X, encore, la plupart du temps), mais de plus il autorise et recommande la libération anticipée de détenus de droit commun – dealers et cambrioleurs inclus – afin de pouvoir enfermer séance tenante le plus d’émeutiers possibles.

Comme l’a très bien analysé le sociologue Mathieu Bock-Côté, c’est peut-être la première fois en Europe qu’un gouvernement démocratique et libéral, massivement soutenu par une partie conséquente de la société civile et des intellectuels universitaires (comme la France, la Grande-Bretagne a ses associations et officines pro-immigration grassement subventionnées par le contribuable et des fondations américaines, elles aussi présentes en nombre dans les rues face aux émeutiers) pactise ouvertement avec la pègre, à l’image de ce qui se pratiquait en Union soviétique à l’époque de Soljenitsyne, en vue de réprimer radicalement une source de dissidence idéologique jugée néfaste pour la survie du régime politique en vigueur.

Même en France, au moment des Gilets jaunes, en dépit des yeux éborgnés et des mains coupées, le pouvoir exécutif n’a pas osé aller jusque-là.

Elon Musk ayant donc été lui aussi mis en cause par la presse et le gouvernement pour suspicion de complicité avec les émeutiers, le milliardaire – dont l’interdiction du réseau social a provoqué des manifestations monstres au Brésil au mois de juin – décide de répliquer. Au Premier ministre qui dit vouloir user du monopole de la violence légitime pour protéger la communauté musulmane et ses mosquées, le patron de Tesla se contente de demander, dans un tweet aussi cinglant que ceux de Donald Trump, ce qu’il entend faire exactement pour protéger les autres communautés du Royaume-Uni.

Starmer du coup, sur X et dans les pubs, se retrouve bientôt affublé du surnom ravageur de « Two Tier Kier » (« two-tier » signifie à deux vitesses). Car tandis que le discours officiel, jamais démenti par l’essentiel des médias, continue à taire ou à minimiser le nombre et l’intensité des affrontements ethniques qui se multiplient autour des points chauds de la révolte (avec, répétons-le, la complicité tacite ou directe des responsables de la police qui, sur ordre, n’interpellent que les seuls émeutiers anti-migrants à l’exclusion des autres propagateurs de la violence communautaire) y compris lorsque des journalistes se retrouvent eux-mêmes agressés par des milices musulmanes comme ce sera le cas d’un reporter de la chaîne LBC News à Birmingham, chacun grâce à Elon Musk peut tous les matins, au terme d’une nouvelle nuit d’émeutes, visionner, sans aucune censure préalable, l’ampleur des agressions dont les sicaires des milices islamiques et/ou militants antifas se sont rendus coupables, parfois à quelques mètres des pandores casqués et surarmés qui laissent pleuvoir les coups sans broncher.

Toutes choses que le citoyen britannique de base n’aurait pas pu connaître ou même soupçonner s’il n’y avait pas eu X et la Toile numérique.

Dès le 10 août, la BBC et les journaux de gauche assermentés proches de l’État ripostent en publiant les noms et les photos de certains des émeutiers condamnés en comparution immédiate. Ce qui revient à les livrer, eux ou leurs proches, à la vindicte musulmane ou gauchiste qui là encore semble bien plus encouragée que dissuadée par les autorités.

C’est ainsi que certaines figures vont devenir célèbres, comme celles de Connor Whiteley, père de 3 enfants de 26 ans qui sera condamné à trois ans de prison, ou de Jordan Parlour, jeune militant identitaire qui avait sur le Net exigé vengeance pour les viols de masse commis par des gangs pakistanais sur des milliers de très jeunes femmes anglaises de souche entre les années 1980 et 2020 (le fameux scandale des « grooming gangs », où la responsabilité criante de la police avait déjà là aussi été impliquée) et qui écopera de neuf mois d’incarcération sans aucun sursis.

Ces vies brisées, par centaines, rappellent ce qu’avait indiqué Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage, La Défaite de l’Occident, à propos de l’évolution du Royaume-Uni depuis trente ans. A savoir que les élites britanniques, parmi lesquelles figurent de très nombreux parlementaires, journalistes, juristes, cinéastes et cadres dirigeants issus des BAME (on se rappelle que le précédent chef du gouvernement, Rishi Sunak, était un multi-millionnaire hindou qui a prêté serment sur la Baghavad-Gîta lors de sa prise de fonction), manifestent beaucoup plus d’hostilité et de mépris viscéral envers les travailleurs pauvres et les chômeurs d’origine britannique qu’envers leurs compatriotes d’origine allogène, souvent indo-pakistanaise ou caribéenne, qu’ils soient en situation régulière ou non.

Depuis la victoire du Brexit, surtout, remportée de peu grâce au vote massif des prolétaires anglais du nord et de l’est du pays en faveur de la rupture avec l’UE, ce mépris a pu virer parfois à la haine ou la phobie, comme on dit dans les milieux progressistes, parfaitement décomplexées et assumées. Lors des grandes manifestations que les partisans européistes du Remain ont organisées à Londres pendant plusieurs mois avant que Boris Johnson ne parvînt à clore le processus de sécession du Royaume-Uni, les injures comparant les Brexiters déclassés des anciens sites industriels et miniers d’Angleterre à des animaux plus proches des hyènes que des bovins n’étaient pas rares et nullement dissimulées.

En Grande-Bretagne, à l’islamo-gauchisme des milieux décoloniaux et anarchistes que nous aussi sur le continent connaissons assez bien (le dernier film, très remarqué à Cannes, de Ken Loach, The Old Oak, l’illustre encore mieux que tous les brulots mélenchonistes ou crypto-fréristes de France et de Navarre), répond, de façon très singulière typiquement anglo-saxonne, une sorte d’anglophobie cosmopolite hyper-capitaliste et post-impériale mêlée de mépris de classe à base ethno-culturelle. Au pays de George Orwell et de sa « common decency », l’individualisme citadin des héritiers de John Stuart Mill s’est mué, dans les classes moyennes et supérieures diplômées, en une détestation rabique et radicale, presque pavlovienne, de toutes les organisations séculaires et collectives susceptibles de garantir la dignité et le niveau de vie des classes populaires indigènes.

L’ouvrier déclassé de Manchester, le salarié licencié de Liverpool concurrencé par le migrant clandestin pakistanais, afghan ou rwandais ou bien le petit paysan ruiné du Devon qui ne pourra pas s’adapter aux importations de viande bovine canadienne et brésilienne ne sont pas seulement méprisés parce qu’ils sont pauvres et incapables d’assurer seuls leur survie au sein du marché global des capitaux, des biens, des hommes et des services ; ils le sont aussi et surtout parce qu’ils voudraient que l’ancienneté de leur présence sur l’île des Tudor et des Stuart leur garantisse à la fois une certaine fixité des mœurs et un certain niveau de sécurité matérielle et morale que les représentants allogènes ou métis des nouvelles classes compétitives et mercenaires venues du Commonwealth jugent incompatibles avec la présente marche du monde à l’origine de leur propre réussite sociale.

Lorsque deux classes sociales aux intérêts aussi clairement antagonistes ont le sentiment, pleinement déployé au niveau des consciences individuelles, que leurs membres appartiennent de surcroît à deux peuples ethniquement et historiquement parfaitement différenciés, alors les conditions de possibilité du maintien de la paix sociale et du pacte civique ne sont plus garanties.

Comme Starmer et les tenants de l’orthodoxie progressiste l’ont bien compris, seule la répression policière et judiciaire la plus implacable peut être capable de maintenir encore quelque temps l’illusion que le punk ou l’artisan brexiter, même athée, et l’ingénieur informatique européiste ou libéral-démocrate – qu’il soit anglican, musulman, sikh ou hindou – appartiennent encore à la même nation et sont susceptibles d’échanger des idées et des projets dans la même langue.

Ceux qui en France incriminent le Brexit et les regrets que ce dernier aurait engendrés chez ses partisans déçus ne comprennent pas que ce que les Brexiters regrettent, ce n’est pas leur ancienne appartenance à l’organisation technocratique et supranationale fondée par l’anglophile Jean Monnet, mais le fait que ses promoteurs conservateurs n’aient pas été à la hauteur de la mission historique qui leur incombait.

Même s’il n’est évidemment pas question ici de justifier ou d’excuser des agressions délibérées contre des représentants des forces de l’ordre, des ressortissants étrangers ou des lieux de culte, qu’un gouvernement garant du respect des lois se doit légitimement de réprimer, il peut être pertinent malgré tout de s’interroger sur le danger évident que constitue pour l’avenir d’un régime qui se veut démocratique et libéral la propension à criminaliser sans retenue la protestation de populations délaissées et précarisées qui entendent préserver l’exercice de leur souveraineté sur la terre où eux et leurs ancêtres sont nés, ainsi que les médias privés qui entendent porter leur voix.

Nous terminerons donc sur cette question, en nous demandant aussi par la même occasion si l’absence au Royaume-Uni d’un parti patriote/populiste de masse anciennement implanté dans le pays constitue bien la chance insigne qu’y voyaient jusqu’à présent la plupart des commentateurs libéraux du continent.

Ancien chargé de mission auprès de plusieurs ministres de l’Intérieur et de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Fabrice Moracchini est professeur de géopolitique, d’économie et de management interculturel dans diverses écoles de commerce.

https://www.laplace.news/post/la-violente-m%C3%A9lancolie-de-la-classe-populaire-anglaise-par-fabrice-moracchini?utm_campaign=d400e069-8923-474c-bb13-d385a2d38b17&utm_source=so&utm_medium=mail&cid=57ecc5d4-b1b5-4660-bfc5-8bcaa551d1b4

25 octobre 2024

Radu Portocala

Si les malades d’un médecin se portent de plus en plus mal, on dit qu’il est incompétent. Si les ponts que projette un ingénieur s’effondrent, on dit qu’il est incompétent. Si un banquier fait perdre de l’argent à ses clients, on dit qu’il est incompétent.

Pendant quarante ans, ceux qui ont dirigé la France - présidents, gouvernements, parlementaires - ont mené une politique qui a conduit à la situation désastreuse que nous connaissons aujourd’hui. On peut, donc, dire qu’ils ont été tous incompétents. Ce qui est une conclusion effarante.

Mais on peut, aussi, se demander pourquoi, afin de réparer les résultats de leur incompétence, c’est le peuple qui doit être puni par les mesures d’austérité qui se profilent, pourquoi c’est le peuple qui devra souffrir pour expier la nullité pernicieuse d’une longue série d’amateurs de la gabegie.

POURQUOI EST-CE SI DUR DE CHANGER D’AVIS ?

Marc Amblard

Très récemment, j’écoutais une jeune neuroscientifique américaine s’exprimant sur le sujet et j’ai trouvé son exposé aussi intéressant que facile d’accès.

Elle commence par un constat que nous avons tous partagé : le cerveau n’aime pas changer d’avis.
C’est pourquoi nos raisonnements sont notamment déformés par deux facteurs :

1) Le biais d’ancrage

Par ce biais nous nous accrochons à la toute première information que nous captons sur un sujet donné. Elle est alors gravée dans le marbre.

2) Le biais de confirmation

Il consiste à filtrer inconsciemment les informations reçues qui contredisent nos idées ancrées et plus généralement tout ce qui compose nos croyances. Et quand bien même, nous accepterions d’en prendre connaissance, nous leur accordons bien moins de poids que celles qui confortent nos préjugés.

Pourquoi sommes-nous si peu évolutifs ?

Les neurosciences défendent l’hypothèse selon laquelle, une fois qu’il a « engrammé » une information, notre cerveau doit se restructurer et établir de nombreuses connections afin de l’insérer dans notre réseau neuronal.
Aussi, toute autre information divergente est perçue comme une agression en ce qu’elle bouscule cette structure réticulaire. L’individu perçoit alors une sensation désagréable.
Une autre explication tient au fait que nos idées sont intimement liées à notre identité. Or, notre cerveau apprécie très peu les menaces envers notre « moi » profond.

C’est pourquoi, changer d’avis nous impose un effort si important que nous préférons le plus souvent ignorer des éléments preuves dérangeants. Cela peut même nous pousser à développer une réaction agressive envers notre contradicteur.

Nul doute que cela vous parle...
25/10/2024

24 octobre 2024

Le « suicide assisté » de la justice

Eric Vial

24/10/2024 – Je dois bien avouer que parmi mes connaissances, la juge Béatrice Brugère est l’une de celles qui m’impressionnent le plus. Vice-procureur de la République au Tribunal de Grande Instance de Paris, spécialisée dans les affaires de terrorisme, son intelligence est redoutable.
Je me suis toujours dit que je n’aimerais pas avoir affaire à elle. Cette femme solaire et chaleureuse dans le privé est capable dans le milieu professionnel de vous mettre en pièces en deux phrases.
Son livre « Justice : la colère qui monte » (Éditions de l'Observatoire) est à son image, dense, bien argumenté, étayé. Il est intraitable sur la situation de la justice en France : catastrophique.
Elle aborde sans far tous les sujets désormais tabous dans la sphère publique : les délais de jugement (637 jours en justice civile contre 237 jours en moyenne pour le reste de l’Europe), la non-exécution des peines de prison (41 % des condamnés à la prison ferme ne mettent pas les pieds en prison), la quasi impossibilité de gérer la situation des récidivistes (le taux de récidive est passé de 2,5 % à 11 % en 20 ans pour les crimes), une population carcérale surchargée et un manque de moyens dans les prisons, la « problématique des mineurs ».
Elle dénonce une « justice des riches contre une justice des pauvres », « une justice business pour la rendre plus productive », des directives européennes qui contrecarrent par exemple « le contrôle aux frontières pour lutter contre le terrorisme », les troubles qu’ont pu engendrer dans la société des décisions de justice comme dans l’affaire Sarah Halimi.
Mais surtout la secrétaire-générale du SNM-FO se questionne sur « l’indépendance des juges » et « la mainmise sur les carrières » de deux syndicats majoritaires, en révélant par exemple qu’en dehors de l’affaire du mur des cons dans lequel le Syndicat de la Magistrature (SM) a été plongée, il participe également aux tables rondes de la Fête de l’Humanité.
Béatrice Brugère exhaustive dans sa démonstration admet que la justice n’est pas prête face aux « nouveaux enjeux qui bousculent les valeurs » : le militantisme écologique, la transhumance, les valeurs de civilisation, les impacts de l’intelligence artificielle sur la probité des preuves. La juge antiterroriste rappelle aussi qu’une bonne partie des jeunes lycéens français (en l’étayant par des sondages de l’IFOP) considèrent que « les lois de l’islam sont au-dessus des lois de notre république » sans que cela n’interpelle davantage les édiles politiques.
En guise de conclusion, elle appelle à « un new-deal judiciaire ». Elle propose des réformes pertinentes qu’elle soumet aux lecteurs et aux législateurs, avant que tout l’édifice de la justice ne s’écroule.
Son but ? Que la justice « qui appartient aux citoyens », soit de nouveau véritablement rendue « au nom du peuple français ».

Romain Vignest

« Il y a des collègues qui renoncent à étudier le subjonctif pour ne pas « faire baisser » la moyenne de leurs élèves. »

Dans cette interview coup de poing, l’approche par compétences et la gestion managériale de l’éducation sont sévèrement critiquées. Romain Vignest, président de l’association des professeurs de lettres, professeur de collège, dénonce une école transformée en machine à formater, où l’élève, réduit à exécuter des tâches, est privé d’émancipation intellectuelle.
La “prolétarisation” des professeurs et l’aliénation des élèves sont les conséquences directes de cette gouvernance par objectifs, qui privilégie l’utilitarisme au détriment du savoir et de la réflexion. Entre obsession des notes et abandon des contenus éducatifs, l’école devient, selon l’auteur, une usine à diplômes où la performance remplace la culture.

Vous critiquez fortement l’approche par compétences, associée à une gestion managériale de l’éducation. Quels effets concrets et mesurables observez-vous sur les élèves et les enseignants dans ce système ?

L’approche par compétences, promue à l’origine par l’European Round Table et l’OCDE, puis prescrite par l’UE aux États membres, consiste à former l’élève à et par l’exécution de tâches. Dans cette optique, les connaissance sont acquises à l’occasion de ces tâches et dans la mesure où elles en permettent l’exécution. Par exemple, en français, pour « analyser le fonctionnement de la phrase simple et de la phrase complexe », il faudra sans doute passer par l’étude des propositions subordonnées conjonctives ; au lieu d’étudier la littérature de tel ou tel siècle, on acquerra la compétence « lire une œuvre littéraire », ce à quoi peut certes servir d’en avoir étudié et d’avoir quelque idée de l’histoire littéraire. Mais, on le voit, par rapport à l’enseignement traditionnel, cette approche opère un renversement de perspective, elle installe l’enseignement dans une logique utilitariste, où le savoir est un moyen et qui, par définition, est à l’opposé d’un enseignement de transmission, mais aussi d’un enseignement d’émancipation.
La gestion managériale du système éducatif, officialisée par les lois dites « d’orientation » (loi Jospin de 1989, loi Fillon de 2005), consiste à fixer au système scolaire des objectifs chiffrés notamment pour l’orientation des élèves et les résultats aux examens. Elle conforte jusqu’à l’absurde l’utilitarisme dont nous venons de parler : l’élève doit savoir exécuter des tâches pour se maintenir dans ce qu’il perçoit comme le circuit « normal ». L’évaluation des compétences est en outre plus souple et s’ajuste mieux aux résultats qu’on veut avoir obtenus : les établissements, certes minoritaires, qui l’ont généralisée ont remplacé la notation chiffrée par des niveaux de « maîtrise » (« insuffisante », « fragile », « satisfaisante »), niveaux matérialisés par un code couleur allant du rouge au vert, comme des feux de signalisation…

Vous évoquez la prolétarisation du professeur et l’aliénation de l’élève. Pouvez-vous expliquer en quoi la gouvernance par objectifs contribue à ces phénomènes et comment cela se manifeste au quotidien dans les établissements scolaires ?

Pour entraîner à l’exécution d’une tâche ou pour prêcher un catéchisme (les «compétences sociales »), et puisque de toute manière la politique éducative n’est plus affaire de contenus mais de gestion des flux, point n’est besoin d’être savant. Il ne vaut mieux pas d’ailleurs : vous pourriez remettre votre propre tâche en question. C’est d’ailleurs à mes yeux le sens profond (pas seulement en matière d’enseignement) de la substitution des noms de métiers par des participes présents : le «professeur» est l’auteur de son cours, son savoir fait autorité, tandis que l’«enseignant» est un exécutant, qui met en œuvre les activités et méthodes prescrites par les INSPÉs ou répète le discours des manuels. Et de fait, après avoir progressivement décroché de l’agrégation dès 2010, quand furent instaurés les masters professionnels, le Capes, depuis 2022, n’évalue presque plus du tout le niveau disciplinaire du candidat, mais sa conformité « didactique » et idéologique.
Au quotidien, dans maints établissements, on presse l’enseignant de préférer les « activités » aux cours, on sait financer l’atelier d’expression corporelle, mais on doit fermer la classe de grec ancien. Évidemment, il doit noter large et ne pas se rendre coupable d’exigences « élitistes ». Quant à l’élève, c’est bien pis. Il ne travaille que pour les notes, dont il guette, même le dimanche, et ses parents avec lui, la tombée sur l’application Pronote de son téléphone, surveillant continûment ce qu’il appelle sa « moyenne », comme une courbe de température. Elle est le critère qui lui fera choisir ou abandonner une option, et il reprochera à son professeur de l’avoir « fait baisser » à cause de ce qu’il estime une mauvaise note, et qui peut être un 16. Car j’y insiste, il ne s’agit que de chiffres : l’élève ne cherche pas à compter parmi les meilleurs, mais parmi les mieux notés, la très bonne note n’est plus recherchée en tant qu’elle traduirait l’excellence d’un niveau, mais pour elle-même. Cette obsession est donc d’autant plus délétère qu’elle est absurde, purement systémique, ne correspondant à aucune exigence intellectuelle, à aucun projet d’étude ou professionnel : il s’agit pour l’élève de passer au vert et rester dans le circuit « normal », celui de la troisième, puis du lycée général et technique, dans la continuité du collège unique, ce malgré les conseils de ses professeurs, et n’importe ses propres talents et ses propres goûts. C’est pourquoi, oui, je crois qu’on peut proprement parler d’aliénation, source d’agressivité, d’angoisse, de mépris de soi, cause d’affluence chez les psychologues, cause aussi à mon sens d’une agitation qui, vue sous ce jour, paraîtrait presque saine.

Selon vous, en quoi le concept de “liberté pédagogique”, tel que défini dans la loi Fillon, est-il une perversion qui bride plutôt qu’il n’émancipe les enseignants ? Quels exemples concrets pouvez-vous donner de cette contradiction ?

Je pourrai d’abord vous répondre que la question risque de ne bientôt plus se poser, puisque précisément la formation des enseignants dans les INSPÉs est uniquement didactique et se réduit à une pédagogie officielle. Mais il y a une perversion de la liberté pédagogique par ce que j’appelle le « management scolaire » qu’il importe en effet d’élucider. En tant que professeur de lettres, ma liberté pédagogique consiste, d’une part, à choisir, pour son importance patrimoniale, sa beauté, sa profondeur, le texte que je compte expliquer et, d’autre part, à déterminer, en fonction du texte choisi, de mon auditoire, de mes propres connaissances, l’approche la mieux à même de l’expliquer c’est-à-dire précisément d’en manifester l’importance, la beauté, la profondeur. Dans une logique de management, ce qui commandera mon choix, tant celui du texte que celui de l’approche, ce sera l’objectif qui m’est fixé : que les élèves obtiennent, à l’occasion d’évaluations dont cette explication sera l’occasion, et par exemple de l’oral du bac, la meilleure note possible. J’aurai donc intérêt à choisir un texte simple et à en faire une lecture superficielle ; ce n’est plus la matière qui me guide, mais la performance à laquelle on m’a assignée. Il y a ainsi des collègues qui renoncent à étudier le subjonctif pour ne pas « faire baisser » la moyenne de leurs élèves. Mais allons plus loin dans la perversion. En lettres, la liberté pédagogique est organiquement liée à la diversité et à la profondeur insondable des grands textes. Ainsi, l’explication d’une tirade de Phèdre ne saurait être exhaustive et elle peut procéder de différentes approches également pertinentes, de sorte que mon explication diffèrera nécessairement de celle qu’en fera tel collègue. Si ma mission n’est plus de puiser dans sa «substantifique moelle» et d’en nourrir mes élèves, mais de me servir de cette tirade comme support, stylistique ou thématique, d’une méthode type pour savoir étudier les textes tragiques, voire dans la perspective d’une éducation aux compétences sociales (« gérer ses émotions », « respecter l’autre », « coopérer et réaliser des projets »…), vous comprendrez que ma liberté pédagogique en sera pour le moins réduite et dévoyée, qu’elle ne sera plus guère à vrai dire qu’une liberté d’instrumentaliser Racine.

Vous associez l’approche par compétences à une forme de “taylorisme éducatif”. Pensez-vous qu’il existe une alternative pédagogique viable et réaliste qui permettrait de replacer le savoir au centre de l’enseignement sans sacrifier la diversité des élèves ?

Je parle en effet de taylorisme éducatif parce que l’approche par compétences, contrairement à ce que l’on prétend, ne rend pas l’élève autonome. Elle l’enferme dans des processus, là où l’acquisition méthodique et explicite des connaissances, accompagné de l’exercice au raisonnement (analyse grammaticale et analyse logique, rédaction, puis commentaire et dissertation), lui fournit des briques qu’il pourra convoquer et agencer par lui-même. Mais en vérité votre question soulève un autre problème, aussi important, celui de l’atermoiement pédagogique, du déport systématique des apprentissages de l’école primaire vers le collège opéré depuis les années 90. Pourquoi avoir alors, quand on sait l’intelligence et la mémoire des enfants éminemment ductiles, rejeté au-delà du primaire ce qui jusque là y était exigé ? Y répondre est aussi impossible que de justifier qu’après cinq années d’enseignement du français le niveau soit si calamiteux…
Ces apprentissages deviennent évidemment beaucoup plus ardus quand les mauvaises habitudes sont prises, quand les influences familiales et sociales les ont imprégnées, quand les identifications grégaires ou l’esprit de rébellion inhérents à l’adolescence favorisent le rejet, par exemple, du langage dont on n’a pas coutume. Le système éducatif actuel opère à contretemps : il prétend enseigner ce qu’il est essentiel que tous les élèves sachent au moment où les personnalités s’affirment et exigeraient que les parcours se différencient. Non seulement la mise en place précoce d’un corpus de connaissances copieux se ferait infiniment plus efficacement, mais il autoriserait sans les léser intellectuellement que les élèves s’orientent plus tôt au lieu d’être tous et si tard astreints à un même cursus. Le collège unique, «puisqu’il faut l’appeler par son nom», est une machine à frustrer les désirs, à gâcher les talents, à broyer les personnalités au moment même où ils éclosent. Pour en finir avec lui, il faut non seulement qu’une instruction solide soit dispensée à l’école primaire, mais qu’elle soit entretenue et approfondie par un enseignement général de qualité tout au long de la formation professionnelle. C’est pourquoi il faut absolument préserver et renforcer le modèle français de formation professionnelle, celui du Lycée Professionnel, qui ne sacrifie pas la personne et le citoyen, et dont on sait que ceux qui en sortent sont plus capables d’initiative et plus susceptibles d’évolution de carrière que les apprentis allemands.

Vous évoquez une “barbarie” du management appliqué à l’éducation. Quelles conséquences à long terme craignez-vous pour la société si cette logique managériale continue de s’imposer dans le système éducatif ?

Ce qui, dans la logique managériale, diffère des modèles passés de domination, c’est qu’elle englobe la classe supérieure, de sorte que celle-ci ne s’y réserve plus la jouissance des arts et des lettres : elle n’en a cure, n’y connaît rien, professant même une inculture qui me semble sans précédent dans l’histoire. C’est donc une barbarie totale et inexorable qu’il faut redouter. Et la barbarie, c’est d’abord la perte du rapport au passé, la perte du sens de la beauté et de la gratuité, de l’étude et de la réflexion ; c’est ici l’habitude prise qu’il faut que tout serve à quelque chose, y compris l’humain, y compris soi-même, c’est un certain goût pour la servitude conforté tant par l’ignorance que par la négation de soi. Un monde finalement pas très éloigné de celui qu’a imaginé Huxley, et où le soma pallierait la frustration. Mais honnêtement, quand je vois les élèves, de tous milieux, se passionner pour les guerres puniques, admirer Rodrigue ou pleurer Arria Marcella, je ne crois pas que ce monde puisse vraiment advenir.
[putsch.media]

CERTAINS SONDAGES PLACENT TRUMP EN TÊTE ? NE VOUS EMBALLEZ PAS, LES DÉMOCRATES ONT PLUS D’UN TOUR DANS LEUR SAC

Marc Amblard

24/10/2024 – Nous le savons, aux USA, environ 22 États (sur 50) voteront démocrate quoi qu’il arrive. Un nombre équivalent votera républicain. Sauf grosse surprise évidemment…
Six États sont en revanche bien plus indécis et donc déterminants. On les nomme « swing states » ou états pivot.
Parmi ceux-là, la Pennsylvanie est au centre de toutes les attentions en raison notamment de sa taille et donc du nombre de délégués (grands électeurs) que cet État enverra à Washington le 6 janvier 2025 pour désigner le futur président des États-Unis.
Certains sondeurs y créditent Madame Harris d’une très courte avance sur Trump. Pour d’autres, c’est l’inverse. Évidemment, chacun observe les sondages qui lui font plaisir…
Le fait est que la candidate démocrate recule à mesure qu’elle s’exprime dans les médias au point que ses conseillers lui recommandent de prendre le large jusqu’au 5 novembre. Son silence sera toujours préférable aux salades de mots incompréhensibles dont elle est coutumière.
Pour autant, les supporters de l’ancien président feraient bien de garder la tête froide et de na pas ignorer le facteur dominant dans ces élections (comme en 2020 et 2022) : la présence d’électeurs illégitimes.
En Pennsylvanie, les enquêteurs d'Omega4america ont dénombré pas moins de 1,4 millions de bulletins fantômes (*) sur un total de 9 millions d'électeurs inscrits et 7 millions d'électeurs actifs, soit 20% environ.
Ce sont eux qui feront malheureusement l’élection. Rien d’autre. Ça laisse malheureusement une grosse marge à Madame Harris, aussi vide soit-elle.

(*) Précision : ce décompte des bulletins fantômes a été réalisé par des experts informaticiens qui comparent très régulièrement les adresses où sont domiciliés les électeurs inscrits sur les listes électorales avec les adresses officielles apparaissant sur le site de chaque comté qui gère le recouvrement de taxe foncière. L'outil permet alors d'extraire toutes les adresses dites inéligibles (celles où personne ne peut raisonnablement habiter comme les stations-services, les écoles, les boites postales chez UPS, les Walmart…). Le système détecte également les électeurs qui, bien qu’apparaissant encore sur les listes actuelles, ont déménagé dans un autre État ou sont décédés.
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